Le vainqueur du classement des grimpeurs d’arbres. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

15E ÉTAPE : LIMOUX - FOIX PRAT D’ALBIS, 185 KM

Le public sur le bord des routes et les télé-touristes du monde entier, qui n’y voyaient plus qu’un prétexte pour picoler au soleil ou visiter la France depuis leur canapé, l’ont redécouvert avec stupeur : le Tour est aussi une course cycliste. On avait fini par l’oublier après un septennat cadenassé par la Sky (Wiggins en 2012 ; Froome en 2013, 15, 16, 17 ; Thomas en 2018) et Vicenzo Nibali (président par intérim en 2014), trop forts pour la concurrence, qui avaient remporté des Tours rapidement vidés de leur intérêt sportif.

Dans une semaine, un cycliste lèvera les bras sur les Champs-Élysées. Ce matin, nous sommes heureux de ne pas pouvoir vous dire qui. Tout peut arriver dans ce Tour de France qui a renoué avec l’incertitude.

Alaphilippe : craquera, craquera pas ?

Julian Alaphilippe depuis le début du Tour, c’est Obélix face au repas des titans, l’un des 12 Travaux d’Astérix. Dans cette épreuve, le Gaulois doit venir à bout du déjeuner pantagruélique que lui a préparé Manekenpix, exploit qu’aucun mortel n’a jamais accompli. Le cuistot belge apporte une farandole de plats plus gigantesques les uns que les autres, imaginant qu’Obélix va finir par caler, mais celui-ci engloutit sans un hoquet le troupeau de moutons, le banc de poissons, la montagne de caviar (et le petit toast qui va avec), le chameau, l’éléphant aux olives, et tout ce que lui présente Manekenpix, qui doit finalement fermer boutique.

Les Douze Travaux d'Astérix : Le Repas Des Titans
Durée : 03:03

Étape après étape, on se dit que Julian Alaphilippe va finir par caler face aux difficultés du parcours. Mais non, il gobe tout, et semble de plus en plus vorace. La prise du maillot à Epernay (3e étape) était prévisible, il n’était pas exclu qu’il résiste à la Planche des Belles Filles (6e étape) pour s’offrir la traversée du pays en jaune, mais l’orgie devait s’arrêter dans les premiers cols pyrénéens (12e étape), ou à défaut dans le contre-la-montre de Pau (13e), ou à défaut de défaut, au sommet du Tourmalet, hier (14e). Depuis trois étapes, la logique voulait que le Français perde du temps. Il n’a fait qu’en gagner.

Alaphilippe persiste à expliquer que « c’est incroyable », qu’il « prend la course jour après jour », qu’il fait juste « du vélo comme il aime » et qu’il est simplement « heureux de donner du bonheur aux gens », plus personne n’est dupe : une large partie du peloton n’a aucun doute quant à sa capacité à gagner le Tour de France. « Et pourquoi pas ? », disait hier Geraint Thomas, qui a lui-même passé chaque jour du Tour 2018 à annoncer qu’il allait s’effondrer le lendemain, pour finalement triompher à Paris.

Alaphilippe se goinfre, mais la grande bouffe vient seulement de débuter. Le peloton a eu droit aux amuse-bouches et à une entrée copieuse. Le menu compte encore de sacrés plats de résistance avec trois cols de première catégorie ce dimanche, et trois étapes extrêmement roboratives dans les Alpes à partir de jeudi. A quel point l’estomac de Julian Alaphilippe est-il extensible ?

Ineos : Thomas ou Bernal ?

Pour le coup, contrairement à la tornade Alaphilippe, c’était annoncé : avec Chris Froome, ça aurait été un trilemme. Sans lui, l’équipe Ineos est confrontée à un dilemme, que deux semaines de course n’ont pas permis de trancher. Geraint Thomas, vainqueur sortant, et Egan Bernal, une bonne tête de successeur, partaient de Bruxelles avec le statut de co-leader. Une semaine avant Paris, aucun n’a éliminé l’autre, le pas de deux Thomas-Froome de l’an passé recommence, on a juste changé un danseur.

Geraint Thomas encouragé par un supporter. / Jeff Pachoud / AP

Ils ont commencé par se prendre et se reprendre des secondes à Epernay et à la Planche des Belles Filles. Puis Bernal a perdu un temps certain sur Thomas lors du contre-la-montre de Pau (1 min 22 s). Puis il en a repris une partie (28 s) au Tourmalet. Le Britannique, 2e, possède toujours une petite minute d’avance (58 s) sur le Colombien, 4e, mais ce dernier a semblé bien plus à son aise en altitude, où va se dérouler une bonne partie de la fin du Tour.

Comme l’an dernier, l’équipe Ineos n’a pas l’air de vouloir trancher. Pas comme l’an dernier, elle affronte cette fois une concurrence à son niveau, manifestement capable de la tenir en respect, et même de la mettre en échec. Elle pourrait bien être contrainte de décréter que l’un se mette au service de l’autre, plutôt que de laisser chacun jouer sa partition par-dessus celle du petit copain. L’équipe Ineos reste en excellente posture pour empocher le magot à Paris. L’équipe Sky, à ce moment du Tour, l’avait déjà systématiquement rangé au fond de sa valise, et n’avait plus qu’à se laisser porter jusqu’à l’arrivée en fumant le cigare.

Selon nos informations, le vainqueur du Tour 2019 se trouve sur cette photo. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Le reste du monde : en profitera, en profitera pas ?

Soyez prévenus : tous les jours jusqu’à dimanche prochain, vous allez entendre parler de la minute quarante perdue lundi par Thibaut Pinot sur la route d’Albi (10e étape), dans un coup de bordure déjà entré dans la légende du Tour. Sans elle, le Franc-Comtois serait ce matin 2e du classement général, avec 1 min 32 de retard sur Alaphilippe, 30 s d’avance sur Geraint Thomas, et une bonne gueule de favori pour la victoire finale.

Mais même avec cette minute quarante offerte à la concurrence, l’exploit semble possible. Impressionnant dans la pente finale, Pinot a peut-être conquis plus que le Tourmalet hier : la concurrence doit se demander ce matin comment elle va pouvoir contrarier le Français de 29 ans qui semble avoir les jambes de sa vie, et possède, avec l’épatant David Gaudu, un coéquipier comme il n’en a jamais eu.

Thibaut Pinot a frappé fort, mais figure encore à la 6e place, au milieu d’un banc de prétendants qui ne comptent à leur palmarès que des places d’honneur sur les grands Tours, et se verraient bien profiter de l’aubaine cette année.

Citons le Néerlandais Steven Kruijswijk (3e à 2 min 14 s d’Alaphilippe, et à 12 s de Thomas), 5e du dernier Tour, 4e de la dernière Vuelta, et 4e du Giro 2016 où il avait porté le maillot rose plusieurs jours, et mangé de la neige dans une chute mémorable. Citons l’Allemand Emmanuel Buchmann, 5e dans le même temps que Thibaut Pinot, qui réussit un quasi-sans-faute en toute discrétion. Citons encore Rigoberto Uran, 7e, et Jakob Fuglsang, 8e, respectivement à 2 min 22 s et 3 min 20 s de Geraint Thomas, tapis dans l’ombre, prêt à bondir sur le podium. Romain Bardet figure à la 26e place, et compte autant de minutes de retard au général.

Départ à 12 h 10 ; arrivée prévue vers 17 h 20.

PS. Une nouvelle perle dans la déjà très riche collection des pétages de câble de Marc Madiot.