Night Call - Launch Trailer (PC)
Durée : 01:53

Laissons croire que le jeu vidéo est encore affaire de mondes virtuels vertigineux, de monstres ultraviolents et de science-fiction aux intuitions mortifères. Et gardons pour nous l’un des secrets les mieux gardés de l’industrie : les jeux vidéo, ce sont aussi des huis clos en noir et blanc, des titres qui se passent dans la rue d’à côté et des héros qui nous ressemblent.

Night Call, sorti le 17 juillet 2019 sur PC (Steam, GOG et Windows Store), développé par le studio lyonnais Monkey Moon, se passe ainsi presque intégralement dans l’habitacle d’un taxi à Paris. On n’y dépasse que rarement le périphérique, si ce n’est pour de fugaces incursions à Vincennes, Ivry ou Roissy.

Le héros – le chauffeur du taxi – n’a pas vraiment de nom, du moins pas au début. On sait juste qu’il vit dans un petit studio, qu’il essaye d’arrêter de fumer. Et qu’il est franco-algérien : un détail dans le scénario, mais qui a son importance. On serait par ailleurs bien en peine de recenser un héros de jeu vidéo originaire du Maghreb depuis Moktar en 1991, avec… Vincent Lagaf’dans le rôle-titre.

Pas de bol pour notre héros, il commence l’aventure en se prenant une balle dans le foie. A cause d’une balle perdue, d’une tentative de meurtre, de son passé qui le rattrape ? A l’issue de deux semaines de coma et quelques mois de convalescence, il sera bien obligé de se poser la question. Une flic lui a fixé un ultimatum : il a une semaine pour identifier son agresseur (en fait, un tueur en série) parmi cinq suspects. Sinon c’est la taule.

Pourquoi donc ? Ce n’est pas l’aspect le plus clair de l’histoire. Et d’ailleurs, le déroulement et le dénouement de cette première enquête (il y en a trois en tout dans le jeu) ne sont pas exactement les points forts de Night Call. Les indices se récoltent un peu par eux-mêmes au gré des dialogues, le joueur n’ayant vraiment la main que dans la dernière ligne droite, quand il s’agit de désigner le coupable.

Du réel au conte

Mais le cœur du jeu, qui serait considéré partout ailleurs comme un à-côté, ce sont tous les personnages secondaires. Les fantômes qui hantent ce Paris endormi, qu’on transporte histoire de payer ses factures. Et en espérant croiser, sait-on jamais, quelques témoins, suspects ou personnes liées de près ou de loin à l’enquête que l’on doit résoudre.

Ces personnages, il y en a, en tout, plusieurs dizaines. On ne sait pas combien exactement, et de toute façon on s’en fiche, ce ne sont pas des Pokémon à capturer. Ce sont au contraire des personnes distinctes, reconnaissables, attachantes parfois, qui forment une galerie de portraits bien campés. Même si un vrai chauffeur de taxi sera sans doute surpris de ne croiser dans ce Paris nocturne que peu de fêtards ivres rentrant de soirée, et de n’embarquer dans sa voiture que des journalistes ou des gens préoccupés de grands sujets sociétaux, ou qui se trouvent à un tournant de leur existence (parfois les trois en même temps).

Tous ces passagers, on les écoute, on leur répond, ou on peut même choisir de se taire. A la clé, on gagne un pourboire plus ou moins important, mais là n’est pas le propos : on se fiche dans Night Call d’obtenir le « score » parfait. On n’est pas là pour conduire (et d’ailleurs, on ne conduit pas dans le jeu), mais pour dialoguer, discuter, comprendre, partager et découvrir un petit bout de vie, de ces destins ancrés dans le réel – même si Night Call ne s’interdit pas de faire quelques pas de côté dans la fiction, voire dans le conte.

Dans « Night Call », les clients sont systématiquement intéressants - et bavards. Et contrairement à cette capture d’écran promotionnelle : le jeu est bien disponible en français. / Raw Fury

Le Paris des années 2010

Night Call n’est pas pour autant sans défauts. Au lendemain de sa sortie, comme un jeune conducteur qui échouerait à faire un démarrage en côte, il calait parfois après une trop longue session de jeu, affichant un écran noir ou bloquant carrément, obligeant à quitter l’application d’un alt + F4 cavalier.

Surtout, Night Call s’efforce ponctuellement, et maladroitement, de « faire jeu vidéo ». Par exemple quand il demande au joueur de gérer son budget : pas assez de courses, trop de dépenses (sur lesquelles on n’a d’ailleurs pas beaucoup de prises), et c’est le game over, abrupt et sans pitié, qui oblige à recommencer la dernière nuit. Ce n’est pas la meilleure idée du jeu.

On ne conduit pas vraiment dans « Night Call », on se contente de choisir ses clients. / Raw Fury

On aurait pourtant largement pardonné à Night Call de n’être qu’un simple raconteur, d’autant qu’il est un témoignage très réussi de l’air du temps. Au-delà des destins individuels qu’il dépeint, on y découvre un portrait, plus important que les autres : celui du Paris de la fin des années 2010, le Paris d’après les attentats, dont les plaies peinent à se refermer.

L’air de ne pas y toucher, la première enquête de Night Call (nous n’avons pas joué aux deux autres avant d’écrire ces lignes) ne parle en réalité que de ça : du racisme ordinaire, des peurs collectives, mais aussi de la solidarité et de la conscience d’avoir traversé, ensemble, une épreuve d’une violence inédite. En plus de saisir l’histoire des personnes traversant Paris, Night Call s’adresse, avant tout, à ses survivants.

En bref

On a aimé :

  • Des personnages attachants et bien brossés
  • Une ambiance mélancolique et contemplative
  • Un témoignage important du Paris des années 2010

On n’a pas aimé :

  • Quelques bugs gênants
  • Une première enquête pas toujours passionnante
  • La possibilité de « game over » un peu hors de propos

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aimez Paris la nuit
  • Vous aimez Paris sous la pluie
  • Vous aimez Paris en taxi

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous ne vous déplacez qu’en trottinette électrique
  • Vous n’aimez pas les Parisiens
  • Vous aimez les jeux où, quitte à être dans une voiture, il faut la conduire

La note de Pixels

8,4 km/13,82 € (dont 1,17 € de pourboire)