A Abidjan, durant la saison sèche, en fin d’après-midi, le jardin de la Fondation Donwahi se transforme en petit festival de plein air le temps de la Sunday, le rendez-vous festif du dimanche. / Youenn Gourlay

Le quartier semble être l’endroit idéal pour une partie de cache-cache. Aux Deux-Plateaux, les lieux branchés se dissimulent derrière de grandes portes noires sécurisées et mal indiquées ou dans des petites rues. Toujours à l’écart des sempiternels embouteillages qui enfument la grande rue des Jardins, principal axe pour remonter le quartier le plus huppé de la commune abidjanaise de Cocody. Certains dimanches heureusement, on peut lâcher la carte, et se laisser guider par la musique ivoirienne.

Durant la saison sèche, en fin d’après-midi et parfois jusqu’à deux heures du matin, le jardin de la Fondation Donwahi pour l’art contemporain se transforme en petit festival de plein air le temps de la Sunday, le rendez-vous festif du dimanche. Des tapis au sol, quelques tables en bois et des coussins en wax pour le décor, des musiques afro-house, soul, raps africain et afro-américain pour l’ambiance. Le tout agrémenté de petits stands valorisant la culture ivoirienne : studio photo d’extérieur avec des objets d’antiquaires africains proposés par Lafalaise Dion, ou le body painting de Saraï d’Hologne, rappelant le kaolin sur le corps des danseuses traditionnelles.

Depuis quelques mois, la Sunday a attiré plus de 2 000 personnes dans une ambiance jeune et survoltée. Une véritable réussite. « On n’aurait pas pu espérer mieux, c’est dans la lignée de ce que je veux faire depuis que je suis revenu en Côte d’Ivoire il y a trois ans, confesse Aziz Doumbia, co-organisateur de l’événement. On doit tout à Illa Ginette Donwahi, créatrice de la Fondation, qui, même si elle ne fait pas partie de notre génération, avait la même vision que nous. » Ce musée d’art contemporain met en avant depuis 2008 des artistes du monde entier et valorise l’art africain.

« Dépasser les habits traditionnels »

Aziz Doumbia est en train de réussir son pari de faire d’Abidjan « un lieu cool ». Tout a commencé à deux pas de la fameuse rue des Jardins, dans les prémices de son futur concept store à succès nommé Dozo. « Quand je suis rentré, il y avait de plus en plus de bonnes marques avec un univers bien pensé, de bons choix de matières, mais c’était compliqué pour elles de gérer le produit et la communication, retrace l’Ivoirien. J’ai donc commencé à travailler pour eux. Dozo, c’est la continuité. » Du nom des chasseurs traditionnels et protecteurs des villages du nord ivoirien grâce à leurs fétiches divins, Dozo est aujourd’hui le lieu de référence de la jeune génération. Une « nouvelle vague » qui a bien souvent vécu entre la France, l’Amérique et la Côte d’Ivoire, qu’Aziz qualifie de « privilégiée » et à qui incombe selon lui la « responsabilité » de donner un nouveau souffle à la culture locale.

A Abidjan, quartier des Deux-Plateaux, le « concept store » Dozo. / Youenn Gourlay

A l’intérieur de la petite boutique sur deux étages, à peine visible depuis la rue, des créateurs ivoiriens et africains exposent leurs vêtements, accessoires et autres produits locaux. Dès l’entrée, des tablettes de chocolat MonChoco, fabriquées avec du cacao ivoirien, attirent l’œil et les papilles. La chocolatière ivoiro-libanaise Dana Mroueh qui concasse les fèves de la matière première à l’aide d’un vélo, professe un message très politique : montrer que l’on peut aussi transformer l’or brun sur place plutôt que dans les usines d’Europe ou d’Amérique. Au pied d’un portant ou s’alignent quelques bombers en wax, sont exposées trois paires de sandales agrémentées de bijoux tribaux de la créatrice ivoiro-américaine Loza Maleombho connue pour avoir travaillé pour Beyoncé et Kelly Rowland. Parce que « c’est nécessaire d’avoir des marques locales, jeunes et de dépasser les habits traditionnels », juge Aziz.

Aziz Doumbia, créateur du « concept store Dozo, dans le quartier des Deux-Plateaux à Abidjan. / Youenn Gourlay

D’autres créateurs ont leur atelier juste à côté, bien souvent à domicile. C’est le cas de Rebecca Zoro, une jeune Ivoirienne qui a même installé son showroom, « absolument pas indiqué mais connu des fidèles », dans son salon. La créatrice de Yhebe Design s’inspire pour chaque saison d’une des soixante ethnies de son pays. « Là, c’est une collection particulière puisque c’est la mienne, explique la jeune Gouro, une ethnie de l’ouest ivoirien. J’essaie de faire connaître ma culture à travers la mode, chaque ethnie a ses masques, ses pagnes, ses danses, mais peu d’Ivoiriens les connaissent vraiment. » A 32 ans, la couturière a trouvé son public chez elle, aux Deux-Plateaux. « Un quartier central, aisé, commerçant, où se croisent les influences ». Mais aussi grâce aux défilés et aux commandes Internet à l’international. Vendues entre 45 euros et 250 euros – une moyenne aux Deux-Plateaux –, ses créations ne sont pas à la portée de tous. « On est fatigués d’être dans la norme, on veut s’exprimer, casser les codes et dire qui on est », justifie-t-elle.

A quelques rues aussi, la marque D.Taylor de la Française d’origine ivoirienne Donia Diallo met en avant, elle, le pagne tissé, plus passe-partout et plus moderne. « J’ai baigné dans la culture occidentale mais je me sens plus proche de la culture d’ici. J’avais besoin que les gens puissent s’identifier à mes vêtements et se dire que l’Afrique, c’est moderne, chic, ça se porte et c’est accessible », développe-t-elle.

« Image positive »

En remontant le quartier, le Lof vient d’ouvrir. Le restaurant chic et cosy décoré de matériaux locaux affiche ses ambitions : « Le manger bien, le manger local et le soutien aux agriculteurs ivoiriens », résume Florence Yao, la fondatrice. Un défi dans un pays qui aime manger lourd et gras.

Un peu plus haut, le concept d’Imalk, aka Malik Coulibaly, cartonne. Celui qui faisait des goodies publicitaires a créé sa marque et sa signature : des tee-shirts et sacs en toile aux messages et clins d’œil ivoiriens – « C’est gâté », « Qui a mis l’eau dans coco ? » – et des tableaux graphiques représentant les villes du pays. « Je voulais valoriser la culture de la rue, les expressions, le quotidien, les taxis, la nourriture : passer des messages autrement », détaille-t-il.

La Française d’origine ivoirienne Donia Diallo qui a créé la marque D.Taylor à Abidjan. / Youenn Gourlay

Enfin O’Plérou Grebet, 22 ans, s’inscrit dans la même veine. Aussi timide et réservé dans la vie que populaire sur Instagram, le jeune Bété, ethnie de l’Ouest ivoirien, développe des « zouzoukwa », des émojis, chez lui dans le quartier, pour raconter le quotidien des Africains : bananes plantain, pagne baoulé, fêtes, tout y passe. « Je suis allé sur une banque d’images et quand on tape Afrique”, on voit soit des enfants malades, la savane, des animaux… Rien que je voie au quotidien, observe-t-il. C’est caricatural et pas représentatif, on veut montrer une image positive. » Un leitmotiv pour cette nouvelle génération.

Quartiers d’Afrique, notre série d’été

Ils sont étonnants, innovants, branchés ou en mutation. Cet été, Le Monde Afrique vous emmène à la rencontre de quartiers de capitales africaines à l’histoire singulière. De Maboneng, à Johannesburg, délaissé à la fin de l’apartheid avant de devenir un symbole de mixité, à Osu, quartier de la capitale ghanéenne, aux airs de pépinière de créateurs, en passant par PK5, quartier à majorité musulmane de Bangui, en Centrafrique, qui renaît au commerce après la sanglante crise de 2013, nos journalistes vous font découvrir des lieux d’exception qui disent à eux seuls beaucoup des pays explorés et du continent. Bon voyage !