Cette initiative, encadrée par un arrêté municipal, permet à tous les naturistes qui le souhaitent de profiter d’un coin de nature. / BERTRAND GUAY / AFP

Véritable poumon vert de la capitale, le bois de Vincennes offre un cadre naturel unique loin de la cohue urbaine et du béton. Dans une ambiance bucolique, les promeneurs peuvent s’adonner à leurs loisirs… habillés ou pas. Depuis trois ans, la clairière, située entre l’allée Royale et la route Dauphiné, accueille les naturistes, d’avril à octobre.

Impulsée par Europe Ecologie-Les Verts et la Mairie de Paris, cette initiative, encadrée par un arrêté municipal, permet à tous ceux qui le souhaitent de profiter d’un coin de nature où la nudité « n’entrave en rien la liberté des autres », selon Julien Claudé-Pénégry, vice-président de la Fédération française de naturisme (FFN) et référent auprès de la Mairie de Paris. Le week-end, de nombreux événements sont organisés par la fédération (pique-niques, activités sportives, etc.) et l’Association des naturistes de Paris.

Au premier abord, le calme du lieu appelle à la détente. Les naturistes lisent, discutent, profitent sereinement du soleil et des douces températures estivales. Mais lorsqu’on discute avec eux, les langues se délient. Certains se désolent des comportements répréhensibles qu’ils disent observer quotidiennement et qui perturbent leur quiétude. Comme ce couple qui s’abandonne sous un arbre à un acte sexuel à la vue de tous ou encore ce voyeur au regard insistant posté à l’entrée de la clairière qu’un naturiste fera finalement déguerpir au bout de vingt minutes.

« Voyeurs et exhibitionnistes »

Un homme dans l’espace naturiste du bois de Vincennes, le 31 août 2017. / BERTRAND GUAY / AFP

D’après Bernard, retraité, converti depuis peu au naturisme et qui fréquente de temps en temps la clairière, « les voyeurs et les exhibitionnistes viennent embêter les femmes, certains se masturbent devant elles, forcément elles ont peur. Elles ne sont que 5 % à venir, peut-être 10 % le week-end », déplore-t-il. Avec une bande d’amis, il aime venir profiter du cadre mais regrette que l’endroit ne soit pas mieux surveillé :

« Des fois, il y a une brigade qui passe, mais, faute de flagrant délit, il n’y a pas de sanction. »

Son ami William, devenu naturiste depuis l’ouverture de cet espace, constate que « les pervers jouent sur l’ambiguïté de la mixité » et qu’il est compliqué de faire régner la sérénité. « Il n’y a pas de toilettes, mais pour les hommes, c’est plus facile, on peut aller dans les bois. Pour les femmes, c’est plus compliqué, il y a des pervers embusqués dans les bosquets qui les surveillent », ajoute-t-il.

« Alerte à mal au bout »

Il faut avoir un caractère bien trempé pour tenir tête aux personnes malintentionnées. Comme Nadia, une des rares femmes à venir « se ressourcer » à la clairière. « Ici, tout le monde la connaît et il ne faut pas trop s’y frotter ! », prévient Jean-Louis, naturiste et retraité qui vient chaque jour prendre un bain de soleil quand le temps s’y prête.

Nadia, habituée des lieux, s’installe pour sa séance de bronzage quotidienne, le 9 juillet. / Elodie Cerqueira / Le Monde

Personnage incontournable de la clairière, cette femme de 55 ans haute en couleur se construit régulièrement un enclos à ciel ouvert. Elle dispose méticuleusement troncs et branchages en cercle qu’elle recouvre de draps pour se cacher des regards insistants et actes malveillants. « Ici, c’est “Alerte à mal au bout” », s’esclaffe-t-elle.

Mais la quinqua rit jaune et s’exaspère de tous ces hommes qui rôdent autour d’elle pour « mater » ou « se masturber ». Alors, régulièrement, on l’entend crier pour faire fuir ceux qui osent venir semer le trouble. Parfois, elle reçoit la visite de Sarah, qui ne vient « que parce qu’elle [la] protège ». La petite vingtaine, la jeune femme au regard angélique ne s’aventure pas seule et souhaiterait plus de sécurité : « Ce n’est pas un espace naturiste à proprement parler. C’est la débauche, complètement ! »

Aucune plainte

Contactée par Le Monde, Catherine Baratti-Elbaz, maire du 12e arrondissement, confirme la teneur de ces témoignages : « On a fait un point il y a deux ou trois semaines et on m’a remonté un certain nombre de difficultés : du voyeurisme, de l’exhibitionnisme. C’était déjà des mésusages qu’on avait observés dans cette partie du bois avant [l’ouverture de l’espace naturiste]. Suite à cet échange, on a réajusté la fréquence des rondes de la garde républicaine, on va retravailler à limiter ces usages parasites. »

Hugo Arer, commissaire de police du 12e arrondissement, rapporte cependant qu’il n’a encore reçu cette année aucune plainte ni main courante. En juillet 2018, précise-t-il tout de même, « la police a procédé à cinq interpellations pour exhibition sexuelle » et d’autres personnes ont été évincées aux abords immédiats de la clairière.

L’adjointe à la maire de Paris chargée des espaces verts, Pénélope Komitès, précise que des rondes ont lieu plusieurs fois par jour au bois de Vincennes, mais qu’elle n’a encore reçu aucun signalement inquiétant cette année. « Les autres années, il y a eu quelques cas de voyeurisme, peut-être cinq ou six, qui avaient été immédiatement stoppés. Aujourd’hui, je n’ai pas reçu un seul courrier ou un seul mail sur le sujet. Aucune plainte ne m’a été remontée », assure-t-elle. Les naturistes interrogés confirment, en effet, qu’ils ne portent pas plainte, préférant gérer les problèmes eux-mêmes, mais les signalent lorsqu’ils croisent les forces de l’ordre.

« Une histoire un peu particulière »

Le climat qui peut parfois régner au bois de Vincennes ne date pas d’hier. La maire du 12e arrondissement rappelle qu’on « est dans un bois dans lequel il se passe déjà énormément de choses avec des pratiques sexuelles qui sont installées et qui sont historiques (…). Le bois de Vincennes, comme le bois de Boulogne d’ailleurs, se caractérise par des activités plus ou moins illicites liées à des activités de prostitution ou sexuelles. Il y a une histoire un peu particulière qu’il faut avoir aussi en tête ».

Pénélope Komitès demeure circonspecte face à l’ampleur du phénomène, mais elle se veut vigilante : « Si c’était un lieu de débauche, je pense qu’on me l’aurait signalé et je l’aurais fermé. Je vais donc diligenter une enquête et si ça ne se passe pas bien on en tirera les conclusions. » Sollicitée par Le Monde, la maire de Vincennes, Charlotte Libert-Albanel, n’a pas souhaité s’exprimer.