Le procureur spécial Robert Mueller, le 29 mai, lors de sa déclaration à la presse, au ministère de la justice, à Washington. / MANDEL NGAN / AFP

Donald Trump a assuré qu’il ne regarderait pas. Ou alors « brièvement ». L’affirmation présidentielle a fait sourire. Plusieurs millions d’Américains sont attendus devant leur poste de télévision, mercredi 24 juillet, pour la première audition au Congrès du procureur spécial Robert Mueller depuis la fin de son enquête sur l’interférence de la Russie dans l’élection de 2016 et sur l’éventuelle obstruction de justice commise par le président des Etats-Unis pour l’empêcher de poursuivre ses investigations.

L’enjeu est énorme selon les uns, symbolique selon les autres. Après vingt-deux mois d’une enquête qui a mobilisé dix-neuf juristes et quarante agents du FBI, le procureur spécial a rendu ses conclusions le 22 mars. Le rapport est long de 448 pages. Il est devenu un best-seller en librairie, mais rares sont les Américains qui l’ont lu. D’où l’importance pour les démocrates de faire entendre les faits de la voix même d’un personnage à la réputation d’incorruptible comme Robert Mueller. « Les gens ne lisent pas le livre mais ils vont regarder le film », a résumé le New York Times.

Deux assignations à la Chambre

Robert Mueller, 74 ans, avait cru en avoir fini le 29 mai. Lors d’une déclaration à la presse au ministère de la justice, il avait lu ses principales conclusions et indiqué qu’il n’accepterait pas d’invitation à s’exprimer devant les parlementaires. « Le rapport est mon témoignage », avait-il fait savoir. Les démocrates ont dû lui faire parvenir deux assignations pour qu’il accepte de se présenter. A l’issue de négociations serrées, il a accepté de témoigner devant la commission des affaires judiciaires et la commission du renseignement de la Chambre des représentants. Cinq heures au total, pas une minute de plus. Selon la presse, les deux côtés ont soigneusement préparé la prestation. M. Mueller aurait procédé à des répétitions avec d’anciens collègues du FBI.

Signe de la nervosité grandissante à l’approche de l’audition, le ministre de la justice, William Barr, a envoyé une lettre au procureur pour lui rappeler de cantonner ses déclarations aux « limites fixées dans le rapport rendu public ». Robert Mueller, de son côté, a demandé à être accompagné de son bras droit de longue date au FBI, Aaron Zebley. Cet ajout a suscité l’ire de Donald Trump. Dans un Tweet, il a dénoncé ce « changement de dernière minute » permettant à « un avocat never trumper » de participer à l’audition (never trumper ou « jamais Trump » désigne les républicains qui ont toujours refusé de se rallier à M. Trump). « Quelle disgrâce pour notre système, ajoute-t-il. Une chasse aux sorcières tordue ! »

Publié dans une version presque complète – expurgée de 10 % environ de son contenu – par le ministère de la justice le 18 avril, le rapport Mueller établit que la Russie a interféré d’une manière « systématique et de grande envergure » dans l’élection présidentielle de 2016, au profit de Donald Trump. Il ajoute néanmoins que le procureur n’a pas pu établir de collusion directe avec la campagne du milliardaire. Selon le document, les Russes avaient promis des informations compromettantes sur Hillary Clinton, et l’équipe Trump avait préparé une offensive médiatique pour mettre en scène leur possible mise en ligne par WikiLeaks. Mais les révélations ne sont pas venues. Et aucune coordination n’a pu être formellement établie entre les agents russes et la campagne du candidat républicain.

Les déclarations de Don McGahn

Sur l’entrave à la justice, M. Mueller a recensé dix occurrences potentielles d’obstruction par le président. Il a interrogé pendant trente heures le conseiller juridique de la Maison Blanche, Don McGahn, qui est cité cent cinquante fois dans le rapport. Celui-ci a affirmé que Donald Trump l’avait appelé chez lui le samedi 17 juin 2017, au matin, pour lui faire savoir que le procureur Mueller devait « partir » – il n’avait pas donné suite, non sans avoir préparé sa lettre de démission.

Selon le rapport, M. Trump a demandé, six mois plus tard, à son conseiller de démentir qu’il lui avait demandé de limoger le procureur spécial. Les démocrates considèrent que cet épisode où M. Trump aurait demandé à un subordonné de mentir est l’exemple le plus sérieux d’entrave à la justice, mais le ministère de la justice s’est opposé à leur tentative de faire comparaître M. McGahn.

Dans sa conclusion, Robert Mueller se retranche derrière un mémorandum rédigé par le bureau des affaires juridiques du Département de la justice (Office of Legal Counsel) en 1973, au milieu du scandale du Watergate. Selon cet avis, un président en exercice ne peut faire l’objet de poursuites criminelles. Le procureur indique avoir en conséquence exclu dès le départ cette hypothèse. Mais, ajoute-t-il dans une phrase qui a provoqué beaucoup d’interrogations, « si nous avions eu la certitude que le président n’avait manifestement pas commis de crime, nous l’aurions dit ».

Sans aller jusqu’à critiquer publiquement l’ancien héros du Vietnam qu’est Robert Mueller, les démocrates ont été déçus qu’il ne s’élève pas au-dessus des arguties juridiques du « mémo » de 1973 pour répondre à la question de l’éventuel crime d’entrave à la justice. Alors que M. Mueller a renvoyé la Chambre devant ses responsabilités pour décider d’engager ou non une procédure en destitution, ils espèrent le pousser à préciser sa pensée sur l’absence de « certitude » sur l’innocence du président.

Mais M. Mueller, qui dans sa carrière a déjà participé à 88 auditions au Congrès, n’est pas connu pour être particulièrement volubile. Reste à savoir combien de temps l’ancien combattant décoré, qui est maintenant un homme libre – il a démissionné du ministère de la justice –, pourra rester impassible devant les attaques d’un président qui l’accusait encore d’être « extrêmement partial » quelques heures avant l’audition.