Manifestation contre « l’autoritarisme » à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), le 20 juillet. / KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Assa Traoré veut un procès. La famille Traoré veut un procès. Comme les 5 000 personnes (selon les organisateurs) – 1 500 selon la gendarmerie – qui ont participé à la manifestation contre « l’autoritarisme », à l’appel du comité Vérité et justice pour Adama, samedi 20 juillet, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise).

Tous réclament le procès des trois gendarmes qu’ils accusent d’avoir causé la mort d’Adama Traoré, à l’âge de 24 ans dans les locaux de la gendarmerie de la ville voisine de Persan à la suite d’une interpellation musclée. C’était il y a trois ans, le 19 juillet 2016.

Alors que les parties civiles redoutent un non-lieu, la famille use de tous les ressorts pour faire rebondir la procédure, en multipliant les demandes d’actes : communication de l’enregistrement de l’audition des gendarmes menée en novembre 2018 (refusée) ; récusation des magistrates (refusée) ; échanges entre les juges et les experts médicaux (les parties civiles sont convaincues que tous n’ont pas été versés au dossier), reconstitution (acceptée dans un premier temps puis annulée il y a quelques mois, la chambre de l’instruction doit désormais se prononcer)…

« Nous avons l’impression que les magistrates ne souhaitent pas que la vérité éclate, estime Yassine Bouzrou, l’avocat des Traoré. Nous userons de toutes les voies de droit existantes pour que les juges respectent la loi et constatent qu’il existe des charges suffisantes pour renvoyer les gendarmes devant une cour d’assises. »

« Une procédure très violente »

Pour l’heure, ils ont été placés sous simple statut de témoin assisté pour des faits de non-assistance à personne en péril.

« Les faits sont têtus, commente Rodolphe Bosselut, l’avocat de deux des trois gendarmes. Il n’y a pas d’actes de violence, mais un acte de contrôle et d’interpellation fait dans le respect des règles. »

L’entrevue, le 15 juillet, entre les juges d’instruction et les parties civiles n’a rien apaisé. Le combat de la famille Traoré et de sa porte-parole charismatique, Assa Traoré, 34 ans, grande sœur du défunt qui a peu à peu politisé sa lutte, est devenu l’un des symboles de la lutte contre les violences policières et l’incarnation d’un discours antisystème. « Nous sommes “gilets jaunes” depuis quarante ans », a lancé Assa Traoré au micro, samedi, appelant à la convergence des luttes.

L’affaire, toujours à l’instruction, continue de susciter la colère et l’indignation des Traoré et de leur avocat, qui dénonce « une procédure très violente » et remet en cause l’éthique des médecins. « Nous soupçonnons une connivence entre les juges et les experts médicaux sélectionnés, mandatés pour rendre des conclusions destinées à exonérer les gendarmes, accuse-t-il. Nous saisirons l’ordre des médecins à chaque fois qu’ils inventeront l’existence d’une pathologie chez Adama Traoré. »

« Le nid de toutes les suspicions »

En mars, les magistrates s’apprêtaient à clore l’instruction – sans mettre en examen les gendarmes – jusqu’à ce que les résultats d’un cinquième rapport médical, réalisé à la demande des parties civiles et à leurs frais, contredisent les causes du décès, attribuées jusque-là à l’état de santé du jeune homme, et pointent du doigt la méthode d’interpellation utilisée, appelée « plaquage ventral », qui a conduit à ce qu’il prenne le poids des trois gendarmes sur son corps.

Comme les expertises précédentes, elle a, elle aussi, conclu à « un syndrome asphyxique aigu », mais a exclu l’existence d’une maladie génétique comme cause de la mort du jeune homme survenue après un effort intense – une course de quinze minutes sous une forte chaleur. Ce dernier point est contredit par de nouvelles « investigations techniques » qui ont révélé que la distance parcourue par Adama Traoré peu avant son interpellation était de 450 mètres. De quoi alimenter encore davantage la défiance de la famille et de ses soutiens.

« La lâcheté des institutions au début de cette affaire et la communication maladroite du procureur de Pontoise [l’information judiciaire a ensuite été dépaysée à Paris] ont fait le nid de toutes les suspicions », commente une source proche du dossier. En avril, les juges ont ordonné une nouvelle expertise médicale, mais aucun expert n’a encore été mandaté.