Des manifestants lors de la 23e manifestation antigouvernementale à Alger, en Algérie, le 26 juillet 2019. / RAMZI BOUDINA / REUTERS

La 23e semaine consécutive de mobilisation à Alger s’est déroulée, vendredi 26 juillet, au milieu d’un important dispositif policier. Une foule compacte défile dans la capitale pour contester toute légitimité au « panel » désigné la veille par le pouvoir pour mener un « dialogue » sur les modalités d’une présidentielle rejetée par la contestation.

Dans les rues quadrillées par les forces de l’ordre, les manifestants scandent « le peuple veut l’indépendance », ou « y en a marre des généraux », en référence à la place centrale occupée par l’armée dans l’appareil de pouvoir depuis l’indépendance.

Son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, est en outre devenu le véritable homme fort du pays depuis la démission le 2 avril, après vingt ans à la tête de l’Etat, du président Abdelaziz Bouteflika, confronté à un mouvement de contestation inédit.

Impossible à évaluer précisément en l’absence de comptage officiel, la mobilisation restait forte vendredi, mais était moins massive que lors des gigantesques cortèges des premiers mois de contestation, déclenchée le 22 février. Le cortège algérois s’est dispersé sans incident en fin d’après-midi, comme les manifestations recensées dans plus de la moitié des 47 autres régions du pays par l’agence de presse officielle APS.

« Nous refusons le dialogue avec le “gang” »

Désigné jeudi au sein du « Panel de médiation », Karim Younes, ex-président de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse) et ancien ministre de M. Bouteflika, est une des nouvelles cibles des manifestants. « Karim Younes, dégage », scandent-ils notamment.

Karim Younes dit « qu’il veut mener le dialogue avec le peuple, alors qu’en 2001 il était » membre du gouvernement « quand les manifestations contre le pouvoir ont été réprimées dans le sang en Kabylie », lors du « Printemps noir » qui a fait 126 morts, s’insurge Mohamed, fonctionnaire de 44 ans, venu de Béjaïa, à 180 km à l’est d’Alger.

« Nous refusons le dialogue avec le gang » au pouvoir, proclame sur une pancarte Farid, agent immobilier de 51 ans, pour qui les six membres du panel « cherchent des postes ». L’un d’eux, l’économiste et président de l’association Algérie Conseil Export (ACE), Smail Lalmas, qui manifestait vendredi à Alger, a été encerclé par des manifestants lui reprochant d’avoir accepté de siéger dans cette commission.

« Je suis de ceux qui sont contre le dialogue avec le gang et avec le régime », mais le panel doit organiser « un dialogue avec des personnalités, des partis, des syndicalistes, des gens du “Hirak” pour parvenir à un consensus. »

Il a précisé que ses collègues et lui avaient posé des conditions : limogeage du gouvernement du premier ministre, Noureddine Bedoui, libération des personnes arrêtées en lien avec la contestation, caractère contraignant des décisions du panel. « Si ces conditions ne sont pas satisfaites, nous n’irons pas au dialogue », a-t-il assuré.

Impasse

Les autres membres du panel sont un ancien membre de la Chambre haute nommé sur le quota présidentiel par M. Bouteflika, une professeure de droit public, un syndicaliste et un universitaire. Selon Hmida Benssad, 46 ans, venu de la banlieue sud d’Alger, « ceux désignés pour mener le dialogue ne nous représentent pas. Seuls ceux qui seront issus du Hirak [mouvement de contestation] sont habilités à parler au nom du peuple ».

Le panel « a pour but de mettre en oeuvre la feuille de route » du président par intérim, Abdelkader Bensalah, « dont le seul et unique objectif est d’organiser l’élection présidentielle », analyse Hmimi Bouider, 33 ans, cadre d’une entreprise publique à Sétif, situé à 300 km à l’est d’Alger.

Depuis la démission de M. Bouteflika, le « Hirak » refuse que les anciens fidèles de ce dernier qui sont toujours au pouvoir – M. Bensalah et le général Gaïd Salah en tête – organisent la présidentielle devant élire son successeur, et réclame leur départ avant tout scrutin. Initialement convoquée le 4 juillet, la présidentielle n’a pu être organisée faute de candidats.

Tout en rejetant la revendication de la contestation, le régime a fait plusieurs offres de dialogue pour sortir de la crise, jusqu’ici toutes rejetées. Mais la dernière proposition de M. Bensalah, le 3 juillet, d’un dialogue, sans participation de l’Etat ou de l’armée, pour définir les modalités d’organisation du scrutin, a semblé susciter l’intérêt d’une partie de la classe politique et de la société civile. Mais pas des manifestants.

Parmi les conditions posées « avant toute ouverture de la médiation », selon un message publié par Karim Younes sur son compte Facebook et cité par la presse algérienne, figurent également « le respect du caractère pacifique des manifestations » par la police, « l’allègement du dispositif policier » à Alger lors des manifestations et le libre accès à la capitale ces jours-là.