Rachid Afatti, Younès Ouziad et Ejjoud Abdessamad Ejjoud ont été condamnés, le 18 juillet 2019, à la peine de mort pour l’assassinat de la Danoise Louisa Vesterager Jespersen et de la Norvégienne Maren Ueland en décembre 2018 dans le Haut-Atlas. / AFP

Analyse. Impossible d’apercevoir les visages des prévenus quand le juge Abdellatif Amrani prononce la peine capitale contre Rachid Afatti, Younès Ouziyad et Abdessamad Ejjoud. Les forces de police positionnées en demi-cercle autour d’eux forment une muraille impénétrable, les protégeant du public.

Les trois principaux suspects ont reconnu avoir décapité les deux jeunes randonneuses, la Danoise Louisa Vesterager Jespersen et la Norvégienne Maren Ueland, en décembre 2018, au nom du groupe Etat islamique, alors qu’elles campaient dans le Haut-Atlas, non loin d’Imlil. Quand l’énoncé des peines est tombé pour les 21 autres accusés – de cinq ans de prison à la perpétuité – plusieurs femmes se sont effondrées sur les bancs de bois de la grande salle d’audience de la chambre criminelle antiterroriste du tribunal de Salé, à côté de Rabat. Parmi elles, l’épouse du ressortissant hispano-suisse, Kevin Zoller Guervos, qui clame l’innocence de son mari condamné à vingt ans de prison.

Ce verdict est prononcé moins de sept mois après les faits, à l’issue de deux mois et demi d’audiences. Un procès rapide qui veut montrer l’exemple et rappeler un message clair : Rabat a une politique de tolérance zéro en matière de terrorisme. Par ce jugement, le Maroc réaffirme son identité de terre d’un islam modéré, « religion d’Etat » avec à sa tête le roi Mohammed VI en « commandeur des croyants », qui préside aux destinées de 35 millions d’habitants, en grande majorité musulmans.

« Réseau islamiste actif »

Le pays est d’ailleurs le seul dans la région qui n’avait pas connu d’attaques terroristes depuis les attentats-suicides de Casablanca en 2003 (33 morts) et l’attentat de Marrakech en 2011 (17 morts). Depuis, le royaume chérifien a mis en place une politique sécuritaire ferme de lutte contre le terrorisme et la radicalisation. « Ces jugements montrent que l’Etat marocain prend des décisions conformes à la réalité. Les gens qui adhèrent à cette idéologie extrémiste importée d’Arabie saoudite et de Syrie doivent savoir qu’ils seront très sévèrement sanctionnés », se félicite Me Khalid El-Fataoui, avocat de la famille danoise.

Ces sanctions sévères sont aussi vouées à rassurer les partenaires européens et internationaux, alors que le Maroc est une destination touristique qui joue sur son image de pays ouvert et tolérant, surtout dans la région de Marrakech. « Les professionnels ont d’abord eu peur que le tourisme soit touché. Mais au contraire, il a augmenté dans la région. Cet acte terroriste a été dénoncé par tout le monde, cela a donné une vision positive des Marocains à l’étranger », constate Omar Arbib, membre de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) à Marrakech.

Mais selon Aziz Hlaoua, sociologue spécialisé dans la politique religieuse du Maroc, cette politique sécuritaire manque d’un accompagnement préventif. « On voit les racines du terrorisme ailleurs, dans les écoles et les manuels scolaires malgré leur réforme, dans les mosquées, les prisons, les associations salafistes de quartier, et même à l’université. Le discours radical est très présent dans le royaume, lié à la question sociale et à la précarité, et il est toléré par l’Etat marocain », analyse-t-il. Le Maroc est d’ailleurs l’un des principaux pourvoyeurs de combattants du groupe Etat islamique (EI). Officiellement, plus de 1 600 Marocains ont été recensés dans les rangs des groupes djihadistes en Irak et en Syrie. Selon Aziz Hlaoua, ils seraient beaucoup plus nombreux.

A Rabat, le 22 décembre 2018, manifestation de soutien aux familles des deux jeunes femmes Scandinaves assassinées dans le Haut-Atlas trois jours plus tôt. / FADEL SENNA / AFP

Comme responsable de cette radicalisation, le sociologue pointe notamment du doigt les écoles coraniques du cheikh saoudien extrémiste Maghlaoui. Ces écoles, qui réuniraient 400 disciples à travers le royaume selon Aziz Hlaoua, ont accueilli et formé une partie des accusés du meurtre d’Imlil. « Cette école de Marrakech avait été fermée par le ministère de l’intérieur, puis rouverte avant d’être fermée définitivement en 2013. Pourquoi ? », s’interroge l’avocat Me El-Fataoui, qui a tenté d’invoquer sa responsabilité lors du procès. Une demande refusée par le juge.

« Si cette école coranique n’est plus active à Marrakech, ses étudiants et son réseau le sont toujours. Ils incitent au terrorisme, pas seulement par des actes criminels et meurtriers, mais aussi par des actions culturelles. Ils continuent par exemple à vendre leurs livres », témoigne Omar Arbib de l’AMDH, qui regrette que la demande de la partie civile n’ait pas abouti.

Signal symbolique

Autre point qui déçoit Omar Arbib : la prononciation de la peine de mort. « Nous sommes contre la peine capitale, quel que soit le crime commis », martèle le militant des droits humains. Une abolition qui s’appuie sur l’article 20 de la Constitution de 2011 : « Le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. »

Cette peine a été prononcée pour trois des vingt-quatre accusés, même si elle n’est plus appliquée au Maroc depuis 1993 et bien que le pays n’ait pas adopté de moratoire. « Au total, 115 personnes, dont trois femmes, sont condamnées à mort au Maroc, souvent pour des actes terroristes ou des actes violents comme des viols multiples sur mineurs », compte Omar Arbib. En 2018, dix nouvelles condamnations à mort ont été enregistrées par Amnesty International. Chaque année, plusieurs de ces condamnés voient leur condamnation commuée en prison à vie par grâce royale.

Prononcer la peine capitale pour les juges revient donc à envoyer un signal symbolique puissant qui se veut aussi dissuasif. Pour Me Khalid El-Fataoui, « les peines sont adéquates et conformes aux lois marocaines et aux actes horribles qui ont été commis ». Les avocats de la défense, eux, ont prévu de faire appel.