Stockage de véhicules Volkswagen, à Wolfsburg (Allemagne), le 4 décembre 2018. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Editorial du « Monde ». Attachez vos ceintures ! La route s’annonce chaotique pour l’industrie automobile. Le secteur est confronté à des marchés saturés et, avec l’émergence de la voiture électrique et du véhicule autonome, à des ruptures technologiques profondes, qui auront pour conséquences de douloureuses restructurations et une redistribution des cartes inédite entre constructeurs historiques et nouveaux acteurs.

Tous les principaux marchés montrent simultanément des signes de faiblesse, qu’il s’agisse de la Chine, des Etats-Unis, de l’Europe, de la Russie ou de l’Inde. Dans les pays riches, l’envie de voiture s’érode à mesure que la conscience écologique s’éveille. Dans les pays émergents, on prend conscience que l’essor des classes moyennes, principal relais de croissance des constructeurs ces dernières années, sera moins linéaire que prévu.

L’automobile est typiquement une industrie cyclique, rythmée par les aléas de la croissance économique. L’erreur serait de ne voir dans la crise qui s’annonce qu’un énième soubresaut de la production pour s’adapter à une demande faiblissante. Les constructeurs sont, en réalité, soumis à une double injonction qui va bouleverser leur modèle économique.

Réduction des émissions de CO₂

L’une est réglementaire et concerne leur contribution à la lutte contre le réchauffement de la planète. La décision du Parlement européen du 3 octobre 2018 d’exiger une réduction des émissions de CO₂ de 40 % est sans doute nécessaire du point de vue de l’urgence climatique. Mais la responsabilité politique aurait exigé d’exposer clairement, dans le même temps, les conséquences industrielles et sociales de ce changement de paradigme.

Le basculement vers la voiture électrique laisse encore beaucoup trop de questions en suspens. Quid de la production de cette électricité, des batteries, de l’extraction des terres rares nécessaires à leur fabrication, du financement du réseau de chargement des voitures, du manque à gagner lié à la baisse des recettes fiscales sur le carburant, de l’évolution d’une demande qui reste à ce jour epsilonesque ?

L’impact économique de cette transition, en revanche, se dessine lentement mais sûrement. Faute de satisfaire les nouvelles normes, les constructeurs devraient être frappés par des centaines de millions d’euros d’amendes. En outre, en définissant la norme sans l’anticiper sur le plan industriel, on s’apprête à transférer une part substantielle de la valeur ajoutée des véhicules au bénéfice des fabricants chinois, sud-coréens et japonais, qui ont une avance considérable dans le domaine des batteries.

Le fait que General Motors ait préféré se séparer de sa filiale européenne, Opel, et que Ford réduise à la portion congrue ses capacités de production sur le Vieux Continent en dit long sur le pessimisme des constructeurs américains sur le potentiel du marché européen.

Cette pression environnementale sera d’autant plus difficile à surmonter que, dans le même temps, les entreprises sont obligées de décupler leurs investissements pour rattraper leur retard dans la voiture autonome face aux géants du Web, qui menacent de bouleverser à la fois le mode de production des voitures et l’usage de la mobilité.

Selon le cabinet AlixPartners, de 40 à 60 usines automobiles devraient fermer dans les cinq ans, tandis que le secteur emploie 13 millions de salariés en Europe. La transition écologique est nécessaire et urgente, mais elle nécessite de la transparence et davantage d’anticipation sur ses conséquences, hélas, prévisibles.