Des personnes participent à une marche blanche à Rouen, le 26 juillet 2019, en hommage à Mamoudou Barry, un jeune enseignant et chercheur guinéen tué la semaine précédente après un assaut « raciste », selon sa famille. / LOU BENOIST / AFP

Salématou brandit rageusement une pancarte sur laquelle se dessine le portrait de Mamoudou Barry. Salématou ne connaît pas cet universitaire guinéen, agressé mortellement, vendredi 19 juillet, en Seine-Maritime, le soir de la finale de la coupe d’Afrique des Nations (CAN). Mais la jeune francilienne, également d’origine guinéenne, s’est sentie proche de ce « grand intellectuel », qui venait de valider sa thèse à l’université de Rouen, avec les félicitations du jury.

« Il avait l’air brillant et avait fait de grande études », énumère la jeune femme, pour qui venir lui rendre hommage était une « évidence ». Comme elle, au lendemain de la marche blanche qui a rassemblé 1 400 personnes à Rouen selon la police, de nombreuses personnes se sont retrouvées samedi 27 juillet dans plusieurs villes françaises pour rendre hommage à Mamoudou Barry.

A Paris, à partir de 13 heures, plusieurs centaines d’entre elles se sont retrouvées près de la gare du Nord, à l’appel de différentes organisations, et notamment du collectif « Justice Pour Mamoudou Barry ». L’association SOS Racisme, qui s’est constituée partie civile dans cette affaire, était elle aussi présente pour « dire non à toutes les formes de haine raciste » et dénoncer un « racisme anti-noir ».

Ses proches dans le cortège

L’agresseur présumé de Mamoudou Barry, un suspect de nationalité française et d’ascendance turque interpellé dans la matinée du lundi 22 juillet, puis interné en hôpital psychiatrique, lui aurait lancé vouloir « niquer » des « Noirs ». Le père du suspect a quant à lui affirmé, par l’intermédiaire de son avocat, ne pas croire que son fils « ait été à l’origine de ce crime raciste ou xénophobe ».

Dans le cortège, beaucoup de manifestants vêtus de blanc partagent leur tristesse et leur colère. « Nous avons besoin de nous faire entendre », tonne Salématou. Pour elle, c’est le drame de trop : « Nous avons trop tendance à nous taire contre la haine et les insultes négrophobes ». A côté, Jonathan acquiesce : insulté, Mamoudou Barry serait sorti de sa voiture pour demander des explications à son agresseur, rappelle le jeune homme. « Il était dans une démarche de dialogue, et pourtant… ».

Le cortège passe place de la République. / Léa Sanchez / Le Monde

Un ancien de la faculté de droit de Rouen, que Mamoudou Barry avait hébergé à plusieurs reprises au cours de ses études, raconte, lui, sa « douleur » et son « émotion », à la suite du décès de Mamoudou Barry : « Ce genre de choses, ça ne devrait pas arriver en 2019 ». Il évoque un homme « calme » et à l’écoute.

Au milieu des slogans « Justice pour le docteur Barry » et « A bas le racisme », la famille et l’entourage du chercheur aussi se veulent discrets : « C’est important que ce soit une marche silencieuse ! », tente vainement de rappeler au porte-voix, malgré le brouhaha, l’un des organisateurs de l’événement. Un peu plus tard, l’une des membres de la famille du chercheur appelle, elle aussi, à la retenue et au silence. Foulard blanc noué sur la tête, son visage est las, crispé.

« Ça aurait pu être n’importe lequel d’entre vous »

Mamadou Barry, le grand frère de la victime, arbore la même expression. « J’ai confiance dans la justice française », déclare-t-il au micro, à l’arrivée du cortège place de la Bastille. Mimo Dia, du mouvement de défense des droits humains Yoallahsuuren, enchaîne. « On ne choisit pas d’être noirs ! », lance ce co-organisateur de la marche, qui a regroupé 300 personnes, selon la préfecture de police de Paris.

Les orateurs s’enchaînent. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, déclare que « la colère est légitime ». Mais qu’« on ne lave jamais le sang avec un autre sang ». Alors que les circonstances de la mort de Mamoudou Barry restaient floues, de nombreuses accusations avaient d’abord porté sur la communauté algérienne. D’autres militants et représentants associatifs ont, par la suite, dénoncé le « laxisme » du gouvernement français : « Ce n’est pas du racisme, c’est de la négrophobie ! »

A 18 heures, les prises de parole continuaient à se succéder sur l’un des larges trottoirs bordant la place de la Bastille, au milieu des passants. « Mamoudou, ça aurait pu être vous ! » clame, dans un micro qui crépite, l’un des orateurs.