Des migrants guatémaltèques traversent illégalement la rivière Suchiate pour atteindre le Mexique, le 22 juillet 2019. / ALFREDO ESTRELLA / AFP

La polémique ne cessait d’enfler au Guatemala, lundi 29 juillet, quatre jours après la signature, avec Washington, d’un accord contesté sur le droit d’asile. Le président de ce petit pays pauvre et violent d’Amérique centrale, Jimmy Morales, a accepté d’accueillir sur le sol guatémaltèque les demandeurs d’asile aux Etats-Unis.

Ce statut de « pays tiers sûr », dont la légalité et la faisabilité restent incertaines, provoque une crise politique entre les deux tours de l’élection présidentielle.

« Traître à la nation ! », scandaient des centaines de manifestants réunis, samedi 27 juillet, dans la capitale du Guatemala, brandissant des pancartes accusant le président Morales d’être « la marionnette de Donald Trump ». La veille à Washington, le locataire de la Maison Blanche applaudissait cet accord bilatéral faisant du Guatemala un « pays tiers sûr », pour freiner le flux record de clandestins vers les Etats-Unis.

« C’est irresponsable, alors que le pays ne grantie pas des conditions de vie dignes à ses citoyens, obligés eux-mêmes de migrer. »

Ce statut international, créé lors de la Convention sur les réfugiés de 1951 à Genève, prévoit que les demandeurs d’asile traversant un pays intermédiaire devront réaliser leurs démarches dans ce dernier et non plus dans le pays de destination. Evitant d’employer le terme de « pays tiers sûr », l’administration Morales a précisé que l’accord s’appliquerait aux Honduriens et aux Salvadoriens qui composent, avec les Guatémaltèques, la plupart des migrants en route vers les Etats-Unis.

« C’est irresponsable, alors que le pays n’est déjà pas capable de garantir des conditions de vie dignes à ses propres citoyens, obligés eux-mêmes de migrer », s’est offusqué dans les médias Mauro Verzeletti, directeur du refuge pour migrants la Casa del Migrante.

La pauvreté frappe 59,3 % des Guatémaltèques, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Sans compter la violence endémique (21 homicides pour 100 000 habitants). Au point que les Guatémaltèques représentent 34 % des arrestations à la frontière américaine, davantage que les Honduriens (30 %) ou les Salvadoriens (10 %).

« Le Guatemala n’est en aucune manière [un pays] sûr pour les demandeurs d’asile », s’est alarmé dans la presse Eric Schwartz, président de l’organisation non gouvernementale Refugees International, emboîtant le pas à Amnesty International.

En pleine campagne présidentielle

En pleine campagne présidentielle, les candidats sont montés au créneau : « Nous n’avons pas la capacité et les financements pour accueillir ces migrants », a réagi Sandra Torres, du parti Union nationale de l’espérance (social-démocrate), sortie victorieuse, avec 22 % des voix au premier tour de l’élection, le 16 juin.

L’ancienne épouse du président Alvaro Colom (2008-2012), opposante de M. Morales, s’inquiète de la vétusté et de l’insuffisance des centres de l’Institut guatémaltèque de la migration (IGM).

L’IGM a accueilli, en 2018, seulement 232 réfugiés. L’accord pourrait multiplier ce chiffre plus de 700 fois, puisque 167 417 migrants honduriens et salvadoriens ont demandé l’asile aux Etats-Unis l’année dernière. Quant à l’autre finaliste du second tour de la présidentielle, prévue le 11 août, Alejandro Giammattei, du parti conservateur Vamos, il assure que « c’est au prochain gouvernement de mener cette négociation ».

A la mi-juillet, face à l’opposition de la Cour constitutionnelle du Guatemala, le président Morales avait renoncé à un déplacement à Washington pour signer l’accord. La plus haute instance judiciaire du pays avait considéré qu’un tel texte devait d’abord être débattu au Congrès.

De quoi provoquer l’ire de Donald Trump, qui avait menacé le Guatemala de taxer ses produits et les envois de fonds de ses émigrés aux Etats-Unis à leurs familles restées au pays. M. Trump avait aussi brandi une possible limitation des entrées des Guatémaltèques sur le sol américain.

La crainte de « sanctions économiques drastiques »

Depuis, le président Morales a cédé, invoquant la nécessité d’éviter des « sanctions économiques drastiques pour le pays ». La moitié des exportations guatémaltèques sont destinées au marché américain.

« Un million d’emplois étaient en jeu », a répété, lundi devant la presse, son ministre de l’intérieur, Enrique Degenhart, signataire de l’accord à Washington. Ce dernier a loué un « accord de coopération (…) qui ouvre la porte à l’octroi de visas temporaires [aux Etats-Unis] pour les travailleurs [guatémaltèques] du secteur agricole ».

Mais rien n’assure que cet accord entrera en vigueur avant le départ du pouvoir, mi-janvier 2020, de M. Morales. Une ratification par le Congrès, où son parti est minoritaire, fait débat dans la presse locale. D’autant que le procureur chargé des droits de l’homme, Jordan Rodas, a présenté, lundi, un recours devant la Cour constitutionnelle contestant la validité de l’accord signé, selon lui, « sous la menace ».

Indépendant du pouvoir, M. Rodas a aussi exigé la démission de M. Degenhart, qui n’aurait pas la légitimité pour signer un tel accord. A moins de deux semaines du second tour de la présidentielle, la crise politique et juridique ne fait que commencer.