ARTE - MARDI 30 JUILLET 22 h 30 - 
DOCUMENTAIRE

Dans ce bureau de la police judiciaire de Nantes, devant une affiche grand format du film 50 nuances de Grey – un choix curieux –, un inspecteur aux cheveux blancs et à l’air bonhomme recueille la plainte de Marie, 20 ans, qui dit avoir été violée par le petit ami de sa tante. En quarante-huit heures, elle le racontera cinq fois, explique la documentariste Laetitia Ohnona, auteure d’Elle l’a bien cherché. Après avoir auditionné l’auteur présumé des faits, un des policiers lâche : « Je n’y crois pas trop. » Finalement, l’agresseur de Marie avouera les faits tout en niant, comme c’est souvent le cas, qu’il s’agissait d’un viol. Le doute du policier, à ce stade de l’enquête, a beau relever de la prudence nécessaire à ce type d’instruction, on ne peut s’empêcher de tiquer : pour quelle raison, en 2019, est-il encore si difficile pour une femme agressée sexuellement de se faire entendre ?

Afin de comprendre pourquoi, en France, une plainte pour viol sur dix seulement arrive jusqu’aux assises, Laetitia Ohnona a suivi quatre femmes à différentes étapes de leur parcours judiciaire. Dépôt de plainte, auditions au commissariat, confrontation avec l’agresseur présumé, examens et soins médicaux, évaluation psychiatrique des séquelles, puis, quand les faits ne sont pas déqualifiés en agression sexuelle et renvoyés en correctionnelle, procès en assises face à des jurys populaires porteurs des mêmes préjugés que la société dont ils sont issus. Et ce, parfois plusieurs années après les faits.

Une « culture du viol » profondément ancrée

Ce parcours judiciaire sert à « trier les affaires pour ne garder que les plus “solides” », explique la documentariste, celles pour lesquelles des preuves suffisantes – matérielles de préférence – permettent de caractériser l’infraction de manière indiscutable. Or, dans la grande majorité des cas, les viols sont commis par des personnes connues des victimes. Et, souvent, l’alcool y joue un rôle. Résultat : « C’est sans doute la seule infraction criminelle dans laquelle la victime se sent systématiquement coupable », affirme l’avocate de l’une des femmes suivies. Marie, 20 ans, Manon, 27 ans, Michèle, 56 ans, et Muriel, 42 ans, ne font pas exception.

Intervenant peu, laissant s’exprimer policiers, avocats, médecins, victimes, Laetitia Ohnona questionne avec sobriété la prise en charge de cette parole « fragile » et la maladresse du système judiciaire. Sans incriminer, elle saisit les réminiscences de cette « culture du viol », tantôt dans le discours des personnes mises en cause, tantôt dans les conseils des proches des victimes, ici dans les délibérations des jurés, là dans la tête des femmes qui portent plainte. L’alcoolisation, une tenue légère, l’envie de faire la fête, ou simplement la passivité renvoient chaque victime à sa responsabilité. « Ce que je voulais, c’est prouver mon innocence », déclare contre toute attente une victime au policier, lorsqu’il lui demande ce qu’elle attend de la procédure.

Les stéréotypes sexistes sont tenaces. En juin 2019, une enquête Ipsos, intitulée « Les Français et les représentations sur le viol et les violences sexuelles », montrait que, pour 42 % des Français, la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a manifesté une attitude provocante en public. Et ils sont encore 30 % à considérer qu’un viol résulte d’une prise de risque de la victime. En un mot, qu’elle l’a « bien cherché ».

Elle l’a bien cherché, documentaire de Laetitia Ohnona (France, 2018, 51 min), disponible sur arte.tv.