Une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Justice pour Steve », le 30 juillet à Nantes, au lendemain de la découverte du corps du jeune homme. / LOIC VENANCE / AFP

« Où est Steve ? » La question hantait la ville de Nantes depuis la disparition du jeune homme de 24 ans, dans la nuit du 21 au 22 juin, au cours d’une soirée « sound system » organisée à l’occasion de la fête de la musique, à laquelle une intervention policière musclée avait mis fin, provoquant la chute de nombreuses personnes dans la Loire. Mais depuis que son corps a été repêché dans le fleuve, lundi 29 juillet, d’autres interrogations s’amoncellent : qu’est-il arrivé exactement à Steve Maia Caniço ? Quand et comment est-il tombé à l’eau ? Et surtout, la plus sensible d’entre toutes : les forces de police sont-elles responsables de sa chute ?

Le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), dont une synthèse de dix pages a été rendue publique mardi à la demande du premier ministre, Edouard Philippe, n’apporte ni explication définitive, ni réelle nouveauté par rapport aux révélations de la presse depuis cinq semaines. Il tend en définitive davantage à exonérer les fonctionnaires de toute responsabilité. « Aucun élément ne permet d’établir un lien direct entre l’intervention des forces de l’ordre et la disparition de M. Steve Maia Caniço vers 4 heures le même jour dans le même secteur », concluent les enquêteurs dans ce document daté du 16 juillet, deux semaines avant la découverte du corps du jeune homme.

Ce rapport s’appuie sur l’exploitation des vidéos, des enregistrements radio et sur des témoignages de plusieurs policiers présents sur les lieux, d’agents de sécurité et de la protection civile ainsi que d’un témoin non identifié. Il s’attache tout d’abord à démontrer qu’il n’y a pas eu de « charge » à proprement parler de la police :

« Aucun élément ne permet d’établir que les forces de police [ont] procédé à un quelconque bond offensif ou à une manœuvre s’assimilant à une charge qui aurait eu pour conséquence de repousser les participants à la fête vers la Loire. »

Les CRS, unités spécialisées dans le maintien de l’ordre, ne sont d’ailleurs arrivées qu’après les faits.

« Usage de la force justifié »

LIONEL BONAVENTURE / AFP

Selon l’IGPN, une équipe de quatre fonctionnaires, renforcée ensuite par une vingtaine d’agents, s’est rendue sur place pour faire cesser la musique – les dix sound systems disposés le long du quai devaient s’arrêter à 4 heures du matin, mais deux DJ n’ont pas respecté l’horaire. Essuyant des jets de projectile de la part de la foule, les agents ont riposté avec des grenades lacrymogènes. Plusieurs agents font également état de tirs de lanceur de balle de défense (les désormais célèbres LBD) et d’un usage d’un pistolet à impulsion électrique (Taser).

Fallait-il utiliser à proximité de l’eau un arsenal destiné à la dispersion, au risque de chutes dans le fleuve ? Le rapport tranche la question de façon catégorique :

« Cet usage de la force, en riposte à des voies de fait perpétrées par une foule de personnes rassemblées sur un terrain public qui troublaient l’ordre public et devaient dès lors être considérées comme un attroupement était justifié et n’est pas apparu disproportionné. »

Il faut cependant lire cette synthèse entre les lignes pour percevoir un léger malaise concernant la conduite des opérations ce soir-là. Le rapport relève notamment que le directeur départemental adjoint de la sécurité publique a demandé par radio à ses troupes de cesser les tirs de grenade lacrymogène, ce qui, combiné à l’arrivée des CRS, « a entraîné l’arrêt des violences contre les policiers ».

« Retour au contact de la foule hostile »

A la place Royale de Nantes, le 30 juillet. / LOIC VENANCE / AFP

Il s’interroge également – en creux et à l’aide d’une formule alambiquée – sur la volonté du commissaire présent sur place de faire cesser à tout prix la musique, ce qui aurait eu un effet contre-productif :

« Cette décision a induit un retour au contact de la foule hostile, qui a généré le renouvellement des jets de projectiles et la nécessité pour les effectifs sous son commandement de se défendre individuellement (…). »

Les enquêteurs se sont par ailleurs penchés sur les nombreuses chutes dans la Loire (jusqu’à quatorze personnes, selon les témoignages), sans réussir à établir un décompte exact. Une seule certitude, trois d’entre elles étaient tombées avant l’intervention des forces de l’ordre. Quant aux autres, les enquêteurs estiment qu’il est impossible d’en imputer la responsabilité directe aux fonctionnaires, quand bien même elles seraient concomitantes à leur arrivée.

« Aucune des personnes repêchées par les sauveteurs n’avait déclaré avoir été poussée par l’action de la police à se jeter à l’eau », affirme de manière lapidaire la synthèse, sans pour autant publier un seul de ces témoignages. Le rapport insiste également sur les témoignages de policiers qui ont porté secours à des personnes tombées dans l’eau. En revanche, deux témoins signalent le soir même la possibilité qu’une personne ait coulé sans avoir pu être repêchée. Pour l’une d’entre elles, l’IGPN assure qu’elle a été retrouvée le lendemain. Le deuxième cas reste inexpliqué.

Si elle apporte peu de réponses concrètes, cette synthèse du rapport de l’IGPN cherche en revanche à élargir le spectre des responsabilités. Sortant de ses attributions (le contrôle administratif des forces de police), l’inspection pointe du doigt le rôle des autres acteurs, à commencer par la mairie de Nantes, directement visée, et la préfecture, davantage épargnée.

L’autorisation des sound systems jusqu’à 4 heures du matin, l’absence de barrières le long du quai Wilson où a eu lieu le drame, le faible nombre d’agents de sécurité… autant d’éléments soulignés par l’IGPN qui mettraient en cause les décisions prises par les responsables locaux en amont de la fête de la musique. Et dédouanerait d’autant plus, l’action des forces de l’ordre ce soir-là. Mais c’est à une autre institution, l’inspection générale de l’administration (IGA), qu’il revient désormais de se prononcer sur cette affaire devenue très politique.