Le président chinois Xi Jinping lors du sommet du G20 à Osaka, au Japon, le 29 juin 2019. / SUSAN WALSH / AP

Editorial du « Monde ». « Empereur rouge », « nouveau timonier » : les expressions par lesquelles la presse occidentale désigne le président chinois, Xi Jinping, auquel nous consacrons cette semaine une série en six volets, ne sont pas que des formules de journalistes. Elles expriment une forme d’ambition et de pouvoir comme la Chine n’en a pas connu depuis un demi-siècle.

Xi Jinping est la version chinoise et communiste du syndrome de l’homme fort, populiste et nationaliste, qui prospère aujourd’hui sous d’autres cieux. Son ascension est le produit d’une biographie bien particulière : celle d’un « prince rouge », c’est-à-dire le fils d’un fondateur du régime, endurci par les épreuves traversées par sa famille au nom du Parti communiste chinois, et qui s’estime aujourd’hui investi d’une mission sacrée, celle de le défendre sans états d’âme. Il est indispensable de plonger dans l’histoire de la famille Xi, intimement liée à celle du régime établi par Mao Zedong en 1949, pour comprendre comment son parcours a forgé la personnalité du numéro un chinois, à la fois idéaliste, pragmatique et extrêmement sûr de lui-même.

La gouvernance qu’il a mise en place a eu pour effet de lever les ambiguïtés qui entouraient l’orientation du système politique chinois, la nature de son économie et l’évolution de son rôle dans le monde – ambiguïtés grâce auxquelles elle a longtemps pu donner le change. Jusqu’à Xi, la Chine semblait sur la voie d’une démocratisation progressive. Prête à jouer le jeu de la concurrence et des marchés. Elle avait quasiment convaincu du caractère inoffensif de sa puissance militaire. Cette clarification expose aujourd’hui M. Xi à un phénomène dont l’ancien journaliste Richard McGregor a fait le titre de sa biographie, tout juste publiée : « le retour de bâton » (Xi Jinping : the Backlash, Penguin Books, non traduit).

Un nationalisme à fleur de peau

Car le système politique chinois a aujourd’hui acquis une rigidité inquiétante. Son pendant est l’éruption de protestations secouant Hongkong, qui vit, cinq ans après le « mouvement des parapluies », la seconde révolte généralisée de sa jeunesse contre Pékin sous Xi Jinping. La Chine de Xi est pour elle l’incarnation d’une régression. Le dragon chinois est si repoussant que le canari qu’est Hongkong s’affole au point de se blesser contre les barreaux de sa cage.

S’il faut bien reconnaître que les critiques déclenchées en Occident contre la répression brutale de la société civile chinoise depuis 2013 n’ont pas eu de prise sur le régime, les camps d’internement pour les Ouigours du Xinjiang, avatar moderne des déportations d’un autre âge, ont eux provoqué sur les imaginations en dehors de Chine un choc durable, aux conséquences sérieuses.

Contre toute attente, la montée de la puissance chinoise a favorisé un grand réalignement géopolitique contre la Chine – une coalition indo-pacifique, qui malgré toutes ses limites, est de plus en plus tangible. Enfin, en ôtant les gants dans tous les domaines, l’Amérique de Donald Trump a réellement mis à l’épreuve les ressources de la superpuissance chinoise, encore vulnérable.

Ces défis créent leur propre dynamique au cœur du système chinois : un nationalisme à fleur de peau qui semble prêt à se déverser quand l’occasion se présentera et dont la volatilité peut déséquilibrer toute une partie du monde. En l’absence d’espace pour l’expression d’une opposition, Xi Jinping ne peut être confronté qu’à des formes sourdes de subversion – qui pourraient engendrer des luttes de pouvoir impitoyables quand se posera la question de sa succession.