Nabil Baffoun, président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), annonçant à Tunis le calendrier électoral dans prochains mois en Tunisie, le 30 juillet 2019. / FETHI BELAID / AFP

En Tunisie, la course aux élections a déjà commencé. Alors que les radios continuent de passer des lectures du Coran ponctuées de musique classique entre deux bulletins d’information pour marquer le deuil national, partis politiques et candidats s’organisent face aux échéances électorales qui approchent à grands pas.

Si certains revendiquent la continuité laissée par le président Béji Caïd Essebssi, décédé le 25 juillet, de garder un Etat fort et démocratique, d’autres espèrent une rupture et prônent la fin des partis politiques traditionnels.

La première bataille est celle des législatives, prévues le 6 octobre. Le dépôt des candidatures, clôt lundi 29 juillet, permet d’observer l’importance des indépendants, hors partis, qui s’élèvent à 707 sur 1 595 dossiers. Une tendance qui confirme la percée observée lors des municipales de mai 2018.

« Intégrité politique versus corruption »

« Nous avons constitué une dizaine de listes après ma démission du parti Ennahda, avec aucune organisation centrale, juste l’envie de changer les choses et de faire fonctionner un parti de façon démocratique mais pas homogène », déclare Hatem Boulabiar, ancien membre d’Ennahda, qui vient de démissionner. Côté d’Aïch Tounsi, l’association devenue mouvement politique – qui était concernée par l’exclusion des amendements électoraux votés au Parlement mais non promulgués par le président avant son décès –, les militants ont mis les bouchées doubles et proposé 33 têtes de listes, soit une couverture de toutes les circonscriptions, comme les grands partis.

« Nous sommes heureux que Beji Caïd Essebsi soit parti par la grande porte en ne promulguant pas ces amendements électoraux, cela nous permet de proposer une alternative. Nos têtes de listes ne sont pas des professionnels de la politique, nous avons plutôt des personnalités connues du grand public, des retraités de l’armée, des figures locales. Nous rejetons tout ce qui fait partie du système politique actuel clientéliste », avance Selim Ben Hassen, président de l’association et tête de liste à Tunis. Il y fera face à des caciques de la politique tels que Rached Ghannouchi, président du parti Ennahda (islamo-conservateur), Samia Abbou du Courant démocratique (social-démocrate), ou encore Jilani Hammami du Front populaire (extrême gauche).

Face à ces mouvances nouvelles, le mouvement Au cœur de la Tunisie, du très controversé patron de la chaîne Nessma TV, Nabil Karoui est dans le jeu. Le futur candidat à la présidentielle entre dans la course avec également 33 têtes de listes et près de 200 000 adhérents, selon Oussama Khlifi, son conseiller, soit plus que le parti Ennahda qui en compte 100 000. « Nous axerons notre campagne sur la pauvreté et la misère dans laquelle vivent certains Tunisiens, c’est ce que nous avons pu voir quand nous avons sillonné le pays et c’est là-dessus qu’il faut que l’on tienne nos promesses », avance le conseiller.

Les partis traditionnels et ceux qui viennent de se constituer regardent les nouveaux venus avec appréhension. Chacun interprète à sa manière le fait que Beji Caïd Essebsi n’a pas promulgué les amendements électoraux qui excluaient ces nouveaux entrants. « Je pense qu’il a toujours voulu à la fois que la présidentielle arrive avant les législatives, car il était plus dans cette tradition de choisir le Parlement sur la base des résultats à la présidentielle, et un Etat fort et intègre », témoigne Tarak Bey, membre du conseil national de Tahya Tounès, qui soutient le chef du gouvernement, Youssef Chahed. « Il faut que Youssef Chahed se présente [à la présidentielle], car la bataille ne sera pas idéologique mais se jouera sur la question de l’intégrité politique versus la corruption », avance ce conseiller au sein du gouvernement.

« Absentéisme »

Chez Nidaa Tounès, le parti du président, fragmenté depuis trois ans et mis à mal par le leadership clivant de son fils, Hafedh Caïd Essebsi, la ligne semble plutôt unifiée. Wafa Makhlouf, l’une des dernières membres fondatrices, députée durant cette mandature, se représente en seconde place à Tunis (circonscription Tunis 2). Pour elle, l’empreinte du chef de l’Etat se manifestera dans la consolidation du parti, arrivé en troisième position aux municipales et scindé en deux après son congrès électif d’avril. « Béji m’avait d’ailleurs dit une fois que, si c’était à refaire, il ne présenterait pas à la présidentielle. Il serait resté dans Nidaa Tounès pour structurer le parti. Donc, pour moi, c’est le vrai challenge des élections », analyse la parlementaire.

Face à ce petit monde, d’autres ont jeté l’éponge. Amers. « Quand vous voyez comment certains députés qui ont brillé par leur absentéisme durant cinq ans se représentent, juste pour conserver leur immunité parlementaire, c’est assez inquiétant, témoigne Bochra Bel Haj Hmida, députée qui a annoncé ne pas se représenter. Sans compter tous ces candidats qui font leur campagne sans aucun projet. Pour moi, ce n’est ni la faute du régime politique ni du système, mais bien celle des partis qui n’ont jamais su former une réelle alternative face à Ennahda. »

Incarnation d’un système ou volonté de rupture, Beji Caïd Essebsi avait su naviguer entre ces contradictions. Aujourd’hui, difficile de savoir qui pourra prendre ce relais pour la présidentielle, fixée au 15 septembre. Certains poussent Abdelkrim Zbidi, ministre de la défense et fidèle du chef de l’Etat, dont la présence rassurante pourrait rallier. Le dépôt des candidatures pour la magistrature suprême commencera le 2 août et se clôturera une semaine plus tard.