Ce qu’on sait de la mort de Steve Maia Caniço à Nantes
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Le corps de Steve Maia Caniço, 24 ans, a été retrouvé dans la Loire plus d’un mois après sa disparition après une opération de police très critiquée le soir de la fête de la musique à Nantes. Mardi 30 juillet, une information judiciaire a été ouverte pour « homicide involontaire » et le premier ministre, Edouard Philippe, a rendu publique une synthèse du rapport de l’IGPN. Dans ce document, daté du 16 juillet, la police des polices affirme qu’« aucun élément ne permet d’établir un lien direct entre l’intervention des forces de l’ordre et la disparition de M. Steve Maia Caniço ». Nicolas Chapuis, journaliste au service société du Monde, a répondu à vos questions sur ce rapport.

B : Quand les recherches dans la Loire ont-elles commencé ? Comment expliquer qu’il ait fallu plus d’un mois pour retrouver le corps ?

Les recherches dans la Loire ont commencé après le signalement de la disparition du jeune homme, le dimanche 23 juin. Dans un premier temps, les forces de l’ordre ont fouillé les environs, fait les enquêtes classiques (hôpitaux, commissariats, etc.) et ont diffusé des avis de recherche. A l’époque, la chute dans le fleuve n’était encore que l’une des hypothèses concernant sa disparition, même si elle s’est rapidement imposée comme la principale.

Peu à peu, des opérations de dragage ont débuté. Il faut savoir, par ailleurs, que la Loire est un fleuve capricieux, compliqué à sonder. Ces derniers jours, il était question d’avoir recours à un sonar pour tenter de retrouver la dépouille. Mais c’est finalement un bateau de transport public qui a repéré son corps.

D’autre part, la Loire est un fleuve assez spécial, soumis à d’importantes marées, avec des variations de hauteur très importantes, des remous et des courants.

Thib : Le rapport de l’IGPN a été publié extrêmement rapidement après la découverte du corps. Une enquête aussi rapide peut-elle être considérée comme suffisamment fiable ?

Le rapport de l’IGPN a, en réalité, été rédigé le 16 juillet, il y a deux semaines. Il a ensuite été transmis à la directrice de l’IGPN, Brigitte Jullien, qui l’a validé et transmis au ministre de l’intérieur, le 22 juillet. Christophe Castaner a écrit à la famille de Steve Maia Caniço pour leur proposer de les rencontrer et leur présenter les conclusions de ce rapport. Rendez-vous devait être pris cette semaine et le rapport devait être communiqué ensuite à la presse. Mais la découverte du corps a chamboulé cet agenda. Edouard Philippe a pris la décision de communiquer le rapport suite à l’authentification de la dépouille, ce qui a manifestement choqué la famille. Leur avocate a regretté que le temps du deuil ne soit pas respecté.

Le premier ministre Edouard Philippe, en présence du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, mardi 30 juillet, / LIONEL BONAVENTURE / AFP

BC : Comment explique l’IGPN que quatorze personnes se sont retrouvées dans la Loire suite à l’intervention de la police, et que ces personnes ont du être « repêchées » ?

Sur la question des chutes dans la Loire, le rapport est assez confus. Il insiste assez fortement sur le fait que des personnes étaient tombées dans la Loire avant l’intervention des forces de police. Ce que l’on savait déjà : trois personnes avaient déjà été repêchées dans la soirée, dont une qui s’était manifestement jetée dans le fleuve par dépit amoureux. Cependant, une bonne dizaine de personnes (l’enquête de l’IGPN n’a pas réussi à définir le chiffre exact) sont tombées au moment de l’intervention des forces de police.

Le rapport indique qu’aucune d’entre elles n’a mis en cause directement la police (ce qui est faux, des personnes ont témoigné du fait que leur chute était liée notamment aux gaz lacrymogènes). La synthèse du rapport est écrite de manière à ne pas établir de lien direct entre les deux actions : au même moment, des policiers sont intervenus et des gens sont tombés à l’eau, mais le lien n’est pas avéré. C’est évidemment un peu difficile à comprendre.

Par ailleurs, des témoignages de personnes présentes ce soir-là font état du fait qu’il y a immédiatement la suspicion que quelqu’un a coulé sans être repêché, sans certitude cependant.

RS : La question centrale est celle de l’origine du mouvement de foule : a-t-il eu lieu suite à une charge de la police ou bien – comme le rapport de l’IGPN semble le dire – sans lien avec celle-ci ?

Selon le rapport de l’IGPN, les policiers se sont rendus sur place pour faire cesser la musique. Un accord avait été passé pour arrêter la fête à 4 heures du matin et deux DJ auraient refusé d’obtempérer. Les policiers affirment avoir été pris à partie (avec des jets de projectiles) et avoir répondu avec des gaz lacrymogènes, puis des grenades de désencerclement et des tirs de LBD. C’est manifestement l’utilisation de cet armement intermédiaire qui a provoqué la cohue. Plusieurs personnes les alertent alors sur le fait qu’il y a de l’eau à proximité et que des personnes sont tombées.

Jean Delabas : Ne croyez-vous pas que seule la mise en cause de la police sera acceptée comme explication par la famille et les amis de Steve ?

Je ne peux me prononcer au nom de sa famille. Ce qui est certain, c’est que la publication juste après l’authentification du corps d’un rapport administratif qui avait été rédigé le 16 juillet a été vécue par ses proches comme une volonté politique de se dédouaner immédiatement de toute faute.

Tim : Les autorités envisagent-elles de mener d’autres enquêtes ?

Il y a déjà plusieurs enquêtes en cours. Le parquet de Nantes a ouvert hier une information judiciaire (qui va donc être confiée à un juge d’instruction indépendant) contre X, du chef d’homicide involontaire, qualification large qui permet au magistrat d’envisager tous les scénarios. L’inspection générale de l’administration a été chargée par le premier ministre de poursuivre l’enquête sur le volet administratif en reprenant le travail de l’IGPN à zéro.

Par ailleurs, une plainte a été déposée par des participants à la fête pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Une dizaine de policiers blessés ce soir-là ont également déposé plainte.

Imusten : Il me semble qu’il existe une confusion, ou du moins deux versions dans la parole officielle autour de ce rapport de l’IGPN…

Vous pointez exactement du doigt toute l’ambiguïté de ce rapport. Il n’exonère pas les policiers de toute responsabilité. Il dit : il n’y a pas de preuve jusqu’à présent du fait que c’est l’action de la police qui a provoqué la chute de Steve Maia Caniço. Ce qui est factuellement exact. La présomption d’innocence doit donc s’appliquer aux policiers. En revanche, il va un peu plus loin en expliquant que l’intervention des policiers était justifiée, et que l’usage de l’armement était proportionné. Ces deux éléments sont plus contestables (et d’ailleurs peu étayé dans le rapport).

Entre les lignes, la synthèse critique d’ailleurs la stratégie employée ce soir-là par le commissaire présent sur place et nie que sa volonté farouche de faire cesser la musique a cristallisé les tensions. Il note également que le message radio du directeur départemental adjoint de la sécurité publique (le plus haut gradé ce soir-là) qui a demandé sur les ondes l’arrêt des gaz lacrymogènes, a permis de faire baisser la tension. Il y a donc un paradoxe : le rapport justifie l’intervention tout en critiquant ses modalités. En cela, il est extrêmement politique, encore une fois.

Des fleurs sont déposées ou jetées dans la Loire sur le lieu du drame, à Nantes. / MEHDI FEDOUACH / AFP

Il : L’intervention du premier ministre avec Casterner à ses côtés ne sert-elle pas à protéger ce dernier ?

Cette mise en scène assez classique en politique peut effectivement être lue comme la marque d’un soutien au ministre de l’intérieur de la part du premier ministre. Elle souligne également l’importance prise par cette affaire qui nécessite que le premier ministre prenne directement la parole.

Lulu : La mairie semble être en cause, notamment en ne mettant pas de barrières. Comment se défend-elle ?

C’est effectivement l’un des éléments de l’enquête sur lesquels il faudra se pencher. La défense des forces de police est de dire qu’il y a eu de graves manquements en amont sur l’organisation de la fête, qui était de la responsabilité de la mairie et de la préfecture. La question de l’absence de barriérage sur ce quai est effectivement posée. Dans son rapport, l’IGPN souligne également le fait que les responsables de la préfecture et les policiers n’ont pas estimé que le contexte lié aux « gilets jaunes », avec des affrontements récurrents avec les forces de l’ordre dans cette ville les semaines précédentes, justifiait un dispositif particulier.