30 millions de dollars de prix : Epic Games, l’éditeur de Fortnite, n’a pas lésiné pour la première Coupe du monde de ce jeu vidéo, dont la finale a eu lieu à New York le week-end des 26 et 27 juillet. Lancé en 2017, Fortnite, un jeu de tir opposant 100 joueurs, connaît depuis un succès phénoménal, et a fait naître ses stars de l’e-sport. Si l’Américain Kyle Giersdorf, alias Bugha, a fait les gros titres avec sa place de numéro 1 et ses 3 millions de dollars récoltés, deux Français de 19 et 16 ans se sont aussi distingués. Tous deux membres de l’équipe LeStream, appartenant au groupe Webedia, Skite et Nayte ont respectivement terminé 7e et 8e en solo – l’épreuve reine.

Skite, 19 ans : « Mes parents n’ont pas cru que j’avais gagné tout cet argent »

Skite, alias Clément Danglot, a fini 7e en solo et 10e en duo. / LeStream

Son objectif : « être le meilleur joueur au monde en solo ». Clément Danglot, alias Skite, l’annonce sans ciller. Alors, quand il n’a fini « que » 7e à la Coupe du monde de Fortnite, ce Roubaisien qui se définit comme « quelqu’un de très compétiteur » fut déçu – « j’arrive pas à être content », écrivait-il sur Twitter peu après la fin de la compétition. Presque plus consolé à l’idée d’être le numéro 1 français qu’à celle d’avoir empoché, à l’occasion, plus de 625 000 dollars (565 500 euros).

Joli, pour un garçon qui ne s’est vraiment mis à jouer à Fortnite qu’en mars 2018. Il lui préférait auparavant un autre « battle royale », le jeu H1Z1. « Au début je ne voulais même pas installer Fortnite. » Mais des amis de H1Z1 lui demandent de participer avec eux à un tournoi de Fortnite, à la Gamers Assembly de Poitiers, en avril. Il accepte, et se met à jouer intensivement pendant près d’un mois. « On a fait un top 6, et j’ai été recruté par l’équipe ArmaTeam, qui me payait 300 euros par mois. »

Son atout : « ne jamais laisser tomber »

Emballé à l’idée de pouvoir gagner de l’argent avec Fortnite, Skite redouble d’efforts et enchaîne les tournois – au détriment de ses études en informatique. Le couperet tombe : redoublement. « C’était compliqué par rapport à mes parents. Ils m’ont dit qu’à la rentrée, c’était fini. » Seulement voilà : les tournois se poursuivent l’été et Skite, qui a quitté son équipe, enchaîne de belles victoires en duo. Il gagne 8 750 dollars ici, 20 000 dollars là.

« Mes parents ne m’ont pas cru quand je leur ai dit que j’avais gagné tout cet argent, tant que je ne l’avais pas vraiment touché ! »

Ils autorisent finalement leur fils à poursuivre dans l’e-sport à la rentrée, à côté de ses études. Qu’il finit par abandonner en janvier, après avoir remporté le tournoi Winter Royale EU et 75 000 dollars. « Je voulais me concentrer sur Fortnite. »

Recruté en septembre par l’équipe LeStream, Skite gagne en notoriété au fil des victoires et de certaines performances épiques retransmises en direct sur la plate-forme Twitch. Son entraînement : 5 à 6 heures de jeu par jour. Ses points faibles : la communication et la confiance en soi. Son atout : « ne jamais laisser tomber ». « Je suis un rageux », glisse-t-il. Même une mauvaise tendinite au poignet droit, qui aurait pu lui coûter sa qualification à la Coupe du monde, ne l’arrête pas.

« Je l’ai eue à force de jouer et de faire les mêmes mouvements. Pendant les premières semaines de qualification, j’avais mal quand je jouais et je faisais de très mauvais scores, c’était dur moralement. Mais je n’ai pas lâché le morceau. Quand mon poignet s’est rétabli, je m’y suis vraiment remis et j’ai réussi à me qualifier dans les deux dernières semaines. »

Résultat : une 7e position en solo, et 10e en duo. De retour de cette compétition éprouvante à New York, des vacances sont-elles prévues ? « Non, je joue ! » s’exclame Skite, soulignant l’arrivée, ce jeudi, de la toute nouvelle saison de Fortnite.

« Je peux vivre de “Fortnite” maintenant »

Pour l’instant, l’avenir est fait de ce jeu. « Je peux vivre de Fortnite maintenant », constate le jeune homme. « A voir combien ça continuera à me rapporter et comment tout cela évoluera. » L’argent de la Coupe du monde, il compte l’investir, « pour pouvoir vivre ». Econome, il n’a prévu aucune folie. Il était bien question, à un moment, d’offrir un voyage à ses parents, « mais ils m’ont rappelé que c’était seulement si je gagnais le tournoi ! ». Le salaire que lui accorde LeStream reste quant à lui confidentiel. « Celui des joueurs de foot n’est pas public non plus », raille Anthony Baudras, manager de l’équipe. « Mais les 300 euros du début… C’est l’ancien temps. »

Nayte, 16 ans : « Je pensais pouvoir atteindre la première place »

Nayte a terminé 8e en solo.

En un an à peine, il est devenu l’un des meilleurs joueurs de Fortnite au monde. Dimanche 28 juillet dans le stade Arthur-Ashe de New York, Nayte s’est classé 8e en solo, juste derrière son compatriote Skite. « J’ai commencé la compétition Fortnite en août 2018. Un mois après, j’obtenais de bons résultats dans une compétition importante, l’Electronic Sports World Cup de Metz. Alors j’ai continué », explique le jeune homme de 16 ans, originaire de Savigny-le-Temple, près de Melun (Seine-et-Marne).

Il décroche dans la foulée un contrat semi-professionnel, et quitte le lycée une semaine après sa rentrée en seconde. « L’école c’est pas trop mon fort », justifie t-il, même s’il semble nourrir parfois quelques regrets sur sa déscolarisation. Le joueur a aussi mis de côté sa passion pour le foot et le Real de Madrid : « ça fait cinq-six mois que je ne suis plus trop les matchs ». Il faut dire que même s’il ne tient pas de planning d’entraînement particulier, Nayte joue entre trois et dix heures par jour, « selon la motivation et l’envie ».

« Mes parents n’étaient pas très chauds, mais c’était un risque à prendre »

Quand il a annoncé à ses proches vouloir devenir pro de l’e-sport, ses parents n’ont pas accepté immédiatement. « Ils n’étaient pas très chauds pour que je fasse ça à plein temps mais c’était un risque à prendre. Ils ont vu que c’était une passion et que je me débrouillais bien. »

Nathan Berquignol, de son vrai nom, a fait ses armes « vers 9-10 ans » en jouant à Call of Duty sur Playstation 3 avec son frère et son père. Puis, quelques années après, il s’est lancé dans la compétition en ligne avec le jeu de tir Counter Strike : Global OffensiveCS Go pour les connaisseurs. L’adolescent ne se souvient plus trop comment il a débarqué sur Fortnite. « Probablement parce qu’un pote de CS Go m’a incité à y aller », croit-il se souvenir. Il a notamment adoré la possibilité qu’accorde Fortnite de bâtir des constructions, contrairement à la plupart des autres FPS (first-person shooter, jeu de tir à la première personne).

Nathan a fait partie des premiers Français à se qualifier pendant l’été pour la Coupe du monde à New York. En juin, il a aussi rejoint l’équipe LeStream. « Ça m’a donné un peu plus de temps pour m’entraîner, jouer tous les jours, collaborer avec d’autres joueurs et des potes. » Il a ainsi pu peaufiner ses stratégies de « buildfight », des combats entre joueurs qui impliquent des constructions de structures pour évoluer et prendre l’avantage, se défendre et gêner l’adversaire.

G4B NAYTE - BuildFight Compilation #4
Durée : 03:38

« Je ne faisais pas trop attention autour de moi, j’étais pris dans le jeu, je suis resté concentré »

Fort d’une vingtaine de compétitions Fortnite, Nayte a dû s’adapter à des conditions nouvelles pendant la Coupe du monde. « C’était ma première compétition à New York et ma première compète sur scène ». Mais le joueur ne s’est pas senti désarçonné par un si gros dispositif organisé par l’éditeur du jeu, le mastodonte américain Epic Games. « Je ne faisais pas trop attention autour de moi, j’étais pris dans le jeu, je suis resté concentré », explique celui qui se « sentait confiant et pensait même pouvoir atteindre la première place ». Plutôt régulier sur l’ensemble des phases de jeu, il estime avoir manqué « d’un peu de chance » pour grimper encore plus haut.

A New York, sa huitième place lui a permis de remporter un prix de 375 000 dollars (339 000 euros). « C’est la première fois que je touche une aussi grosse somme, même si j’arrive plutôt à vivre de ma carrière », explique Nathan Berquignol, qui envisage d’investir une partie de cet argent dans l’amélioration de sa chambre – sa salle d’entraînement. « Histoire d’être plus à l’aise et plus performant. » Désormais professionnel de l’e-sport renommé, Nayte va aussi continuer à streamer (diffuser en ligne) certaines de ses parties. Et poursuivre la compétition sur Fortnite. Et si le jeu périclite un jour ? « J’essaie de ne pas trop y penser, même si on est quelque part obligé d’y réfléchir. Je ne sais pas ce que je ferais, sans doute que je tenterais de devenir bon dans un autre jeu. »