Manifestation contre le refus de certaines candidatures aux élections locales, à Moscou, le 27 juillet 2019. / Maxim Shemetov / REUTERS

Editorial du « Monde ». En 2008, à l’issue de ses deux premiers mandats à la tête de la Russie, Vladimir Poutine s’était effacé pour laisser la place à son premier ministre, Dmitri Medvedev. Peu importe que celui-ci se soit rapidement révélé en personnage falot, désigné uniquement pour assurer l’intérim. La lettre de la Constitution, qui limite le nombre de mandats successifs à deux, était respectée.

Cette façade de respect de la loi, déjà bien fragile, est aujourd’hui en train de s’écrouler. L’interdiction des candidats de l’opposition libérale aux élections locales de septembre relève d’un abus de pouvoir évident. A travers toute la Russie, des centaines de candidats se voient refuser le droit de participer à de simples scrutins locaux. Seuls sont autorisés les représentants d’une opposition jugée « convenable » – communistes et ultranationalistes, loyaux au Kremlin sur l’essentiel.

A Moscou, ce déni de démocratie provoque une contestation importante, des manifestations pour des « élections libres ». Ce n’est pas une première : des sujets comme la baisse du niveau de vie, continue depuis cinq ans, l’écologie ou les libertés publiques ont entraîné ces dernières années des mobilisations importantes. Les autorités ont même montré, en cessant les poursuites pour un trafic de drogue imaginaire contre le journaliste Ivan Golounov, qu’elles savaient écouter l’opinion.

Le scénario « Bolotnaïa »

Cette fois, la réponse choisie est celle de la force. Les candidats déchus, transformés en meneurs de facto de la contestation, sont en prison ; 1 400 manifestants pacifiques ont été arrêtés lors de la manifestation du 27 juillet. Là encore, dans les tribunaux, le droit est bafoué.

La crainte est désormais de voir le Kremlin rééditer le scénario dit « Bolotnaïa », du nom de l’affaire pénale qui avait conclu, en 2012, les manifestations monstres contre le retour de Vladimir Poutine au pouvoir. A l’époque, une trentaine de personnes avaient été condamnées à des peines allant jusqu’à quatre ans et demi de prison.

Moscou serait bien inspiré de ne pas suivre cette voie. D’une part, rien ne dit que l’intimidation fonctionne sur le moyen terme. D’autre part, en insistant pour être réintégré au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qui a été fait notamment avec le soutien de Paris, le pouvoir russe a montré qu’il entendait encore être considéré comme un membre de la famille européenne. Celle-ci requiert des règles, et en premier lieu le respect de l’Etat de droit. Un rappel qui pourrait être opportunément mis à l’ordre du jour de la rencontre entre Vladimir Poutine et Emmanuel Macron, le 19 août, au fort de Brégançon.

La troisième raison est pragmatique. Elle touche aux intérêts de l’élite russe elle-même. La perspective d’une transition chaotique en 2024 génère une forte tension en son sein. En l’absence de règles du jeu claires, les luttes de clans et de pouvoir se poursuivront, de plus en plus violentes. Cette nouvelle nomenklatura, bien qu’habituée aux remous, préfère la prévisibilité et la stabilité.

Et, si le président russe essayait de tordre la Constitution pour rester au pouvoir d’une manière ou d’une autre, il y a fort à parier que les manifestations actuelles ne constituent qu’un pâle avant-goût de ce qui pourrait alors arriver. Aucune aventure militaire, aucun ennemi extérieur fantasmé ne suffira à faire illusion. Il n’existe qu’une seule voie pour sortir de l’impasse : le respect de la Constitution. Cela est valable pour les élections locales du 8 septembre comme pour le scrutin présidentiel de 2024.