Manifestation de fonctionnaires à Hongkong, le 2 août. / LAUREL CHOR / AFP

Changement de décor à Hongkong : les manifestants en tee-shirt noir, casque jaune et masque à gaz ont laissé la place à des contestataires bien coiffés, en chemise ou costume trois pièces. Jeudi soir, les employés du secteur financier, très puissant à Hongkong, s’étaient rassemblés trente minutes à Central pour dénoncer une loi d’extradition vers la Chine. Vendredi soir, les fonctionnaires ont pris le relais, pour un rassemblement exceptionnel au même endroit. Secteur après secteur, c’est toute la société hongkongaise qui s’engage pour marquer son hostilité au projet de loi d’extradition et, au-delà, à la surdité d’un gouvernement non élu.

Dans le même temps, les autorités de Hongkong, soutenues par la Chine, semblent vouloir frapper fort avec une campagne d’arrestations de manifestants et de meneurs. Mardi 30 juillet, 44 manifestants arrêtés le dimanche ont été inculpés sous le chef d’accusation fourre-tout « d’émeutes », passible de dix ans de prison. Jeudi 1er août dans la soirée, la police a aussi arrêté huit personnes, dont l’activiste pro-indépendance Andy Chan, pour suspicion de possession d’armes offensives, après avoir perquisitionné un local où se trouvait le militant.

Les autorités de Hongkong veulent frapper fort avec une campagne d’arrestations de manifestants et de meneurs

Les policiers ont d’abord arrêté un groupe de quatre personnes transportant deux battes de base-ball et des équipements de protection, dans un chariot de supermarché, avant de perquisitionner un local où ils affirment avoir trouvé un arc et des flèches et de quoi fabriquer des cocktails Molotov. Andy Chan, un architecte d’intérieur de 28 ans, est le fondateur du Parti national de Hongkong, qui prônait ouvertement l’indépendance de la région administrative spéciale de Chine. Fondé en 2016, il ne comptait qu’une poignée de sympathisants quand il a été interdit en septembre 2018. Des dizaines de manifestants ont entouré deux commissariats peu après l’annonce de l’arrestation. Ils ont construit des barricades et ont bataillé avec la police jusqu’à 3 heures du matin environ.

« Je dois faire quelque chose »

Plus tôt dans la semaine, l’inculpation de 44 personnes pour « émeutes » avait aussi provoqué des affrontements avec la police. Les accusations faisaient suite à l’appel à la fermeté prononcé lundi par Pékin. « Nous pensons que la tâche prioritaire pour Hongkong en ce moment, c’est de punir les actes violents et illégaux selon la loi, de restaurer l’ordre social aussi vite que possible », avait déclaré Xu Luying, une porte-parole du bureau des affaires de Hongkong et Macao, l’agence chinoise chargée de ces territoires. Un appel à l’adresse du gouvernement hongkongais à utiliser tous les moyens légaux pour réprimer le mouvement. Les manifestations prévues ce week-end ont toutes été interdites, la police n’autorisant désormais que des rassemblements statiques.

Alors que les autorités semblent faire le pari d’un pourrissement du mouvement, les actions pacifiques continuent en parallèle des rassemblements illégaux, plus violents. Vendredi soir, 40 000 personnes selon les organisateurs, fonctionnaires et soutiens, se sont rassemblées à proximité de la station de métro Central. Les manifestants se sont dispersés peu après 21 heures, comme prévu. La veille, le gouvernement avait pourtant mis en garde les participants. « Les fonctionnaires doivent respecter le principe de la neutralité politique, ce qui veut dire que les fonctionnaires doivent servir le chef de l’exécutif et le gouvernement avec une loyauté totale », indiquait une lettre officielle, avant de prévenir que le gouvernement « réagirait sérieusement à toute violation du règlement ».

Vendredi soir, abrités sous des parapluies de toutes les couleurs, les fonctionnaires répondaient que leur mission était de servir le peuple, et non le gouvernement. La lettre menaçante semble avoir eu l’effet inverse sur certains. Une jeune femme, qui a choisi de venir masquée de peur des représailles, explique : « J’ai peur, mais je pense que je dois faire quelque chose, surtout pour répondre à la lettre d’hier. Ils nous disent qu’on doit obéir, et ne pas aller à ce rassemblement. Nous devons être neutres dans nos fonctions, mais après le travail nous redevenons des citoyens comme les autres et nous aussi avons la liberté d’expression », estime-t-elle.

Pas d’unanimité

A côté, deux de ses amis ont choisi de montrer leur visage. « L’administration dit que les lettres ouvertes anonymes qu’on a envoyées ne valent rien. Je suis donc venu en montrant mon visage et j’assume. Je pense qu’on ne sera pas licenciés pour ça, même s’il peut y avoir d’autres formes de représailles, peut-être des avertissements ou des promotions qui ne viendront plus… On sait qu’ils font des listes de ceux qui participent », croit savoir cette jeune femme. Le groupe de quatre jeunes fonctionnaires est vêtu de noir, la couleur du mouvement, et porte quatre idéogrammes imprimés sur papier plastifié : « Faire le chemin ensemble » (« tongxing » en chinois) et « Conscience » (« liangxin »). « Tongxing était le slogan de Carrie Lam dans sa campagne pour devenir chef de l’exécutif. Mais elle est complètement déconnectée des citoyens aujourd’hui. Nous avons rajouté “conscience” parce que c’est ce qui manque à l’administration aujourd’hui », explique un jeune homme à lunettes.

S’il est difficile de rencontrer des Hongkongais qui soutiennent la loi d’extradition vers la Chine, l’évolution du mouvement est loin de faire l’unanimité. Un fonctionnaire des services d’hygiène de la ville, rencontré plus tôt dans la journée, estimait le mouvement voué à l’échec. « De toute façon, ils ne vont pas faire tomber le Parti communiste chinois. Ces manifestations sont inutiles et de plus en plus violentes. Cela détruit la stabilité et l’harmonie de Hongkong », estimait ce jeune employé de 29 ans, qui préférait garder l’anonymat. D’autres manifestations sont prévues au cours du week-end et, lundi, un appel à la grève générale a été lancé, que la plupart des manifestants présents vendredi assurent vouloir suivre.