Des membres du Mouvement islamique du Nigeria manifestent à Abuja, le 29 octobre 2018.

En interdisant le Mouvement islamique du Nigeria (MIN), un important groupe chiite, et en le qualifiant de « terroriste » après une série de manifestations réprimées dans le sang, les autorités nigérianes ont pris le risque de plonger le pays dans un nouveau conflit sanglant, après celui lié à Boko Haram.

Fin juillet, le gouvernement du président Muhammadu Buhari, sunnite comme l’immense majorité des musulmans nigérians, a mis au ban le MIN, un groupe dirigé par Ibrahim Zakzaky, incarcéré depuis décembre 2015. L’armée nigériane avait alors maté une manifestation dans le fief du MIN à Zaria (Etat de Kaduna), faisant quelque 350 morts. Depuis, sa santé s’est détériorée, selon ses avocats, qui ont finalement obtenu qu’il puisse partir à l’étranger pour se faire soigner : lundi 5 août, la justice nigériane a autorisé le leader chiite à se rendre en Inde, désamorçant en partie les protestations de ses partisans qui réclamaient sa libération.

Reste que l’interdiction du groupe est perçue comme une atteinte au chiisme et un moyen – dangereux – de forcer le groupe à la clandestinité. « Ils nous poussent à bout, au point où on dira : “C’est bon, défendons-nous nous-mêmes et prenons les armes” », confie la fille du leader, qui a fait ses études en Malaisie. « Voir nos frères se faire tuer encore et encore, ça ferait changer l’esprit de n’importe qui », poursuit Suhailah Maleshiya.

« Ne serait-ce pas mieux de mourir en martyr ? »

Les membres du groupe montrent une loyauté sans borne à Zakzaky, auquel ils vouent un véritable culte. Plus les nouvelles de sa santé sont mauvaises et plus le mouvement se radicalise, confie une source au sein du groupe, sous couvert d’anonymat.

Ces dernières semaines, les partisans du MIN ont manifesté quasiment tous les jours pour demander sa libération, aux cris de « Mort à Buhari, mort à l’Arabie saoudite, libérez Zakzaky, mourons pour Zakzaky ». Les rassemblements ont été pour la plupart du temps pacifiques, mais, fin juillet, au moins six manifestants (vingt selon le MIN) ainsi qu’un officier de police et un journaliste ont été tués dans des heurts violents. Pour l’instant, le groupe chiite a annoncé qu’il suspendait tout rassemblement, mais cette décision ne fait pas l’unanimité au sein de ses partisans.

Nigeria : une manifestation chiite dispersée par la police
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« Tu peux mourir à n’importe quel moment, dans un accident de voiture ou n’importe où », explique à l’AFP Muhammed Soje, membre radical du MIN, en faisant défiler sur son téléphone les photos de ses amis tués. « Ne serait-ce pas mieux de mourir en martyr ? » « Zakzaky n’est pas quelqu’un de violent, affirme un ancien membre du groupe. Il ne prêche pas la violence mais il est vrai que ceux tués en son nom ou au nom du MIN sont considérés comme des martyrs. »

Beaucoup craignent que le MIN prenne les armes

Face au MIN, des cheikhs sunnites radicaux et salafistes très proches des pouvoirs locaux ont régulièrement fait pression pour interdire le mouvement, explique un chercheur sous couvert d’anonymat, et continuent d’appeler à chasser les chiites du Nigeria. La réponse de l’Etat nigérian face à ce groupe qui ne reconnaît pas l’autorité d’Abuja et souhaite la mise en place d’une République islamique sur le modèle iranien est claire et n’a jamais été ouverte au dialogue.

Au moment où le Nigeria interdisait le MIN, le pays célébrait le triste anniversaire des 10 ans d’insurrection du groupe djihadiste de Boko Haram, qui a fait plus de 27 000 morts et 2 millions de déplacés. Le 30 juillet 2009, l’armée nigériane massacrait des centaines de partisans de la secte islamiste radicale ainsi que son leader, Mohamed Yusuf, dans son fief de Maiduguri (nord-est). Le groupe est alors entré dans la clandestinité et a été récupéré par les mouvements djihadistes internationaux, tels qu’Al-Qaïda et l’Etat islamique.

Les scénarios se ressemblent étrangement et beaucoup craignent que le MIN prenne les armes, dans un contexte de rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite sur le continent africain.