Boris Johnson, alors ministre des affaires étrangères, à Ankara, en septembre 2018. / Umit Bektas / REUTERS

L’accession de Boris Johnson à la fonction de premier ministre du Royaume-Uni a réjoui les médias turcs progouvernementaux, prompts à y voir le gage d’un renforcement des liens entre la Turquie, qui rêve de rejoindre l’Union européenne (UE), et la Grande-Bretagne qui brûle de la quitter. Peu importe que le politicien à la crinière blonde soit hostile à la candidature turque à l’UE. Et tant pis s’il a rédigé, en 2016, un poème peu flatteur à l’endroit du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qualifié par lui de « formidable branleur ». Le plus important, aux yeux des médias et des politiciens du cru, ce sont ses origines turques.

« Boris le Turc », comme l‘a qualifié la presse, est perçu avant tout comme un fils du pays. Le fait que son arrière-grand-père, Ali Kemal (1867-1922), fut ministre de l’intérieur à l’époque de l’Empire ottoman fait de lui un produit du terroir. « Le petit-fils d’un Ottoman devient premier ministre ! », ont titré les journaux au lendemain de son arrivée au 10 Downing Street, le 24 juillet. Le président Erdogan l’a félicité d’un Tweet, voyant sa nomination comme l’assurance d’une « amélioration des relations ».

L’enthousiasme était à son comble à Kalfat (région de Cankiri, nord de l’Anatolie), le village dont la famille de Boris Johnson est originaire. « Chez nous, ses ancêtres sont appelés “les blonds” et d’ailleurs la blondeur de Boris Johnson lui vient de cette lignée », affirme Mustafa Bal, un villageois de Kalfat, à l’agence de presse turque Demirören. En 2016, l’homme politique britannique, alors chef de la diplomatie, s’était rendu dans le village de ses ancêtres où il avait été accueilli en hôte de marque.

« Un ennemi de l’islam »

Insensible aux racines turques de Boris Johnson, le journal islamo-nationaliste Yeni Akit a pris soin de rappeler qu’il était avant tout « un ennemi de l’islam », connu pour ses déclarations moquant les femmes qui portent la burqa et ses critiques de la religion islamique.

« Boris est l’arrière-petit-fils d’un traître », a cru bon de rappeler le quotidien nationaliste Sözcü, une allusion au rôle joué par son aïeul lors de la guerre d’indépendance. Ce rôle a été passé au crible par les personnalités politiques et les médias ces derniers jours, décrit tour à tour comme « un collabo » ou un héros.

Journaliste de formation devenu ministre de l’intérieur dans le gouvernement de Damat Ferid Pacha, grand vizir du sultan, Ali Kemal est resté dans les mémoires comme celui qui s’opposa à la lutte de libération menée par Mustafa Kemal dit Atatürk, le père de la Turquie moderne. Alors que les Jeunes Turcs, le groupe dirigeant, consolidait son pouvoir dans un empire en voie d’écroulement, Ali Kemal, marié à une Britannique, choisit de s’enfuir en Grande Bretagne, où est né le grand-père de Boris Johnson, Osman Wilfred Kemal.

De retour à Istanbul en 1912, Ali Kemal continua de s’opposer au nouveau pouvoir, s’érigeant notamment contre le génocide des Arméniens. Il souhaitait faire de son pays un protectorat britannique. En novembre 1922, il fut kidnappé puis lynché à mort par une foule à la solde du général Noureddine Pacha. Son corps fut ensuite suspendu à un arbre. Sözcü a d’ailleurs publié sur son site une photo assez floue du corps, rappelant la « collaboration » du supplicié avec les puissances occupantes (France, Grande Bretagne, Italie, Grèce).

De rares voix lui ont rendu hommage, dont celle de Garo Paylan, député du Parti de la démocratie des peuples (prokurde, opposition). « Ali Kemal voulait que les responsables des crimes commis lors de la chute de l’empire ottoman rendent des comptes. S’il avait réussi, la culture du génocide, du lynchage, des putschs aurait peut-être disparu », se prend-il à espérer.

Pourquoi Boris Johnson, le nouveau premier ministre britannique, divise autant
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