Le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, et son épouse, Antoinette, au musée d’Orsay, à Paris, le 10 novembre 2018. / BENOIT TESSIER / REUTERS

Lors de son discours à la nation, en décembre 2018, le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, avait annoncé sa volonté de lutter contre la corruption. « Face aux délits économiques, quels qu’ils soient, il n’y aura ni menu fretin ni gros poissons », avait-il déclaré. Une promesse risquée. Car ce pays d’Afrique centrale, riche en pétrole et en bois, est régulièrement le théâtre de scandales de corruption et de détournements de fonds publics présumés.

A chaque fois, ce sont des membres du « clan » présidentiel qui campent le rôle des « gros poissons » prédateurs. Chez les « Sassou », dont le chef cumule bientôt trente-cinq ans à la tête de l’Etat (de 1979 à 1992, puis depuis 1997), il est devenu normal de mener grand train, tels des multimillionnaires brillants de luxe et doués du génie corruptif.

Fils cadet du président, Denis Christel Sassou-Nguesso pourrait illustrer à lui seul les dérives de ce « clan ». Député d’Oyo, le fief familial, ce quadragénaire flamboyant a aussi eu la haute main sur l’or noir, dont le Congo est le troisième producteur d’Afrique subsaharienne. En tant que directeur général adjoint de l’aval pétrolier de la société nationale SNPC (de 2011 à 2018) et comme administrateur général de l’unique raffinerie du pays, la Coraf, il s’est fait remarquer par sa mauvaise gouvernance et son goût pour la dépense extravagante et les circuits financiers offshore afin de dissimuler ses opérations hasardeuses.

Le train de vie fastueux de « Kiki le pétrolier »

« Kiki le pétrolier », ainsi qu’il est surnommé, se retrouve au cœur de la dernière enquête de l’ONG britannique Global Witness, qui révèle mardi 6 août comment ce « fils de » a pu détourner près de 50 millions de dollars (près de 45 millions d’euros) des caisses de l’Etat. Pour ce faire, Denis Christel Sassou-Nguesso a opéré en osmose avec un ami de la famille, José Veiga. Ce dernier, ancien directeur du club de football de Benfica, à Lisbonne, est un homme d’affaires originaire du Portugal, où il est, depuis 2016, visé par une enquête pour fraude, corruption et blanchiment d’argent, en lien étroit avec les Sassou-Nguesso.

Car à Brazzaville, José Veiga faisait fonction de directeur de la filiale congolaise du groupe brésilien Asperbras. Après l’effacement de la dette congolaise par le Brésil, en mai 2013, cette entreprise a obtenu plusieurs marchés d’ampleur. Elle se retrouve accusée par les autorités portugaises d’avoir versé une myriade de commissions à des intermédiaires et à des personnalités politiques.

Pour opérer au Congo et satisfaire les lubies de la famille présidentielle, José Veiga a tissé une toile de sociétés écrans, selon l’ONG britannique. L’une d’entre elles s’appelle Gabox. Elle a été créée par le Portugais le 9 décembre 2013 à Chypre, en marge d’un contrat de 675 millions de dollars scellé moins de deux semaines plus tôt entre l’Etat congolais et l’une des filiales d’Asperbras établie au Delaware (Etats-Unis). Mais l’opacité garantie par ce paradis fiscal américain ne semble pas suffisante. C’est ainsi que cette filiale en a créé une autre, Energy & Mining, établie, cette fois, aux îles Vierges britanniques.

Cette dernière signe le 11 décembre 2013 un contrat de sous-traitance avec Gabox. La société chypriote de José Veiga est étrangement retenue pour mener à bien un « projet de cartographie géologique et prospection de minerais ». Elle reçoit le mois suivant un virement de 44,5 millions de dollars provenant d’un compte d’Energy & Mining ouvert à la branche cap-verdienne de la défunte banque portugaise Banco Espirito Santo. Puis, en février 2014, un nouveau virement de 1,6 million de dollars est effectué sur le compte de Gabox.

Comme l’a découvert la police portugaise au cours de son enquête, Gabox est en fait détenue intégralement par une autre société chypriote, Manzapo, dont le directeur est le même José Veiga. Ce véhicule financier a reçu 4,4 millions de dollars de la part de Energy & Mining, en novembre 2014. Mais tout en haut de ce montage financier en cascade se trouve la société Aliciero, elle aussi établie à Nicosie, la capitale chypriote. A sa tête se trouve en réalité Denis Christel Sassou-Nguesso. Car José Veiga lui a discrètement « cédé toutes les actions » de la société, selon des actes notariaux de l’étude de feu Me Henriette Galiba, à Brazzaville.

L’homme d’affaires portugais a donc livré au fils du président congolais les commandes de ce lacis offshore. Global Witness démontre que Gabox et Manzapo se retrouvent ainsi contrôlées par « Kiki le pétrolier », probable bénéficiaire de ces près de 50 millions de dollars « qui proviennent de fonds détournés des caisses de l’Etat, dont une partie a servi à financer son train de vie fastueux », souligne Mariana Abreu, auteure de l’enquête pour l’ONG britannique. Tout comme son père, il a alors l’habitude de dépenser en quelques jours à Paris des centaines de milliers de dollars en montres, costumes et autres accessoires de luxe.

Un appartement dans la Trump Tower à New York

Denis Christel Sassou-Nguesso n’a pas souhaité réagir. Contacté par le biais d’un avocat parisien de l’Etat congolais, Claudia Sassou-Nguesso, directrice de la communication de la présidence, n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.

Elle aussi a disposé d’une société chypriote et a bénéficié du montage financier légué par José Veiga à son frère. Toujours selon une enquête de Global Witness parue en avril, la fille et conseillère spéciale du président congolais aurait recouru aux circuits financiers de l’intermédiaire portugais pour « piocher presque 20 millions de dollars dans les fonds publics ». Parmi ses dépenses : l’acquisition, à l’été 2014, d’un luxueux appartement dans la Trump International Hotel and Tower, à New York, d’une valeur de plus de 7 millions de dollars. Ce que le gouvernement congolais a démenti, précisant qu’« aucun agent public congolais n’est impliqué dans l’achat ou la possession de l’appartement objet du rapport de cette ONG ». Plutôt que de répondre sur les faits documentés, Brazzaville a dénoncé des « fake news » et une « cabale médiatique ».

Ces dernières révélations de l’ONG britannique étirent l’interminable chapelet de scandales financiers qui éclaboussent, sans le faire vaciller, le pouvoir congolais. L’autocrate Denis Sassou-Nguesso, allié de plus en plus encombrant de la France dans la région et peu à peu isolé par ses homologues sur le continent, semble indifférent ou impuissant face aux abus de son clan. La manne pétrolière, qui génère 80 % des ressources économiques de l’Etat, s’est pourtant en partie évaporée sous la houlette de son fils et de ses affidés. Près de la moitié des 5,4 millions d’habitants survivent toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Des enquêtes judiciaires – toujours en cours – menées au Portugal, en Italie, en France et en Suisse révèlent une série de « pactes corruptifs ». Ainsi, la justice helvétique, qui a condamné en août 2018 un trader de la société genevoise de négoce Gunvor, note que des dizaines de millions de dollars de pots-de-vin ont servi à rémunérer « Denis Christel Sassou-Nguesso et son père ». En France, le volet congolais de l’enquête sur l’affaire dite des « biens mal acquis » se poursuit. Seule la fille et le gendre ont, pour l’instant, été mis en examen pour « blanchiment de détournements de fonds publics ». La République du Congo a vainement tenté de se constituer partie civile, une demande rejetée par la justice française. Selon les autorités judiciaires françaises, ce dossier contient « des éléments mettant en cause directement » le chef de l’Etat congolais et les membres de sa famille.