Enfant vénézuélien né à Cucuta (Colombie) dont on a pris l’empreinte des pieds pour son certificat de naissance, le 2 mai. / Fernando Vergara / AP

Tous les enfants nés en Colombie de parents vénézuéliens depuis le 19 août 2015 vont être naturalisés colombiens. La mesure a été annoncée mardi 6 août à Bogota par le président Ivan Duque. Elle devrait bénéficier à plus de 24 000 enfants nés sur le sol colombien, en risque d’apatridie. Elle est « temporaire et exceptionnelle », a précisé le chef de l’Etat, en rappelant que la Colombie fait face à un défi migratoire inédit. Selon l’ONU, quelque 3,7 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays, brisés par les pénuries de nourriture et de médicaments. La Colombie en accueille 1,4 million. Plus de la moitié sont en situation irrégulière.

« En adoptant cette résolution qui octroie la nationalité à 24 000 enfants, la Colombie montre au monde que, malgré ses contraintes budgétaires et son revenu par habitant de 8 000 dollars par an – inférieur à celui des pays européens –, elle sait être fraternelle et solidaire », a déclaré M. Duque. Il a précisé que « les droits fondamentaux des enfants pourront être mieux garantis, tels l’accès aux services publics en santé et éducation ». La décision présidentielle entrera en vigueur le 20 août pour deux ans et pourra être prorogée, au vu de l’évolution de la situation dans le pays voisin. « Nous faisons savoir à nos frères vénézuéliens qu’ils peuvent compter sur nous », a conclu le président Duque.

La Colombie reconnaît le droit du sol aux enfants nés de parents étrangers légalement domiciliés sur le territoire colombien, une condition difficile à remplir pour les migrants vénézuéliens qui fuient la crise. Leurs enfants sont de droit vénézuéliens puisque le Venezuela reconnaît – comme la Colombie – le droit du sang. « Mais la République bolivarienne n’assume plus depuis des mois ses responsabilités consulaires en matière d’état civil », explique un fonctionnaire du ministère des relations étrangères. La rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, décidée en février par le président Nicolas Maduro (après que la Colombie a pris ouvertement parti pour son rival, l’opposant Juan Guaido), a encore compliqué la situation. Il n’y a plus de consulat vénézuélien en Colombie et les enfants nés de ce côté-ci de la frontière ne peuvent donc obtenir ni acte de naissance, ni passeport, ni carte d’identité. « Ils sont techniquement apatrides », résume le juriste Alejandro Ruiz.

« Un premier pas »

« La Colombie a opté pour la naturalisation des enfants vénézuéliens après avoir constaté l’existence d’obstacles insurmontables pour que ceux-ci puissent obtenir la nationalité vénézuélienne », explique le communiqué de Bogota. Formellement, les enfants vénézuéliens bénéficient d’ores et déjà du droit à l’éducation et à la santé, reconnu par l’Etat colombien à tous les mineurs indépendamment de leur nationalité. Mais, dans les faits, la situation de cette population infantile reste souvent très précaire. « Leur naturalisation ne va pas tout régler, mais c’est un premier pas », soupire M. Ruiz.

« La mesure annoncée était très attendue, continue ce spécialiste des questions migratoires. Le président Ivan Duque la présente comme une concession faite aux migrants, comme un acte de générosité. Or, l’Etat colombien ne fait que respecter ses obligations internationales et constitutionnelles. » La loi 43 de 1993 stipule que les enfants de parents étrangers nés sur le sol colombien auxquels aucun Etat ne reconnaît la nationalité seront colombiens, sans que l’on exige d’eux qu’ils prouvent leur domiciliation.

Les Nations unies, qui avaient manifesté leur inquiétude de voir les enfants de migrants devenir apatrides, se sont réjouies de la prochaine naturalisation des petits Vénézuéliens, une mesure « cohérente avec le principe de l’intérêt supérieur des enfants ». Toutes les organisations d’accueil des migrants et de défense de leurs droits ont également applaudi la décision gouvernementale. Aucun parti ni aucune personnalité politique ne l’ont critiquée. Le Venezuela avait accueilli par le passé des centaines de milliers de migrants colombiens, et le discours officiel, qui met en avant une obligation de solidarité avec un pays frère, fait consensus sur la scène politique nationale.