Depuis dimanche 4 août au soir, le Cachemire indien est paralysé. Sous un couvre-feu imposé, ses habitants sont coupés du monde. Il n’y a ni Internet, ni téléphone, ni sources d’information. Les principaux dirigeants des partis politiques locaux ont été placés en détention dans la capitale d’été de l’Etat, Srinagar. Les écoles sont fermées, les rassemblements interdits. Les rares voyageurs qui ont quitté Srinagar au cours des dernières soixante-douze heures évoquent un couvre-feu extrêmement strict, des rues vides et parcourues par des forces paramilitaires et un sentiment de peur. La province himalayenne à majorité musulmane, qui est l’une des zones les plus militarisées au monde, est entièrement aux mains des forces de l’ordre, à l’initiative du gouvernement nationaliste hindou du premier ministre, Narendra Modi. Un manifestant est mort dans la région après avoir été pourchassé par la police, a indiqué à l’AFP, mercredi 7 août, une source policière locale.

Le Cachemire, bâillonné, n’a pas eu son mot à dire lorsque son avenir s’est joué, lundi 5 août, 800 kilomètres plus au sud, à New Delhi, dans l’hémicycle du Parlement indien. Amit Shah, ministre de l’intérieur, a annoncé la révocation de l’article 370 de la Constitution indienne, qui garantissait une autonomie d’exception au Cachemire indien, l’Etat du Jammu-et-Cachemire, 13 millions d’habitants. Dans la foulée, la région a perdu son statut d’Etat fédéré et sera scindée en deux « territoires de l’Union », administrés directement par le gouvernement central. Un coup brutal porté aux aspirations historiques du Cachemire indien.

« Prendre des millions de gens en otage n’était pas la meilleure manière de faire passer cette décision », s’indigne Charlotte Nadroo, une Française dont le mari, cachemiri, est à Srinagar. Car les autorités ont commencé à resserrer leur étau sur la vallée quelques jours plus tôt. Les touristes et visiteurs non cachemiris ont été sommés d’évacuer la région. Près de 40 000 membres des forces de l’ordre ont été positionnés en renfort dans cette région, déjà quadrillée par des milliers de soldats qui s’efforcent d’y réprimer une insurrection séparatiste. Le déploiement sécuritaire est sans précédent. « Le couvre-feu est une mesure de précaution, il a été installé afin que la situation ne se détériore pas », a justifié M. Shah.

« Il y aura des morts »

Les rares témoignages d’habitants de la vallée sont inquiétants. Sur les réseaux sociaux, Muzamil Jaleel, un journaliste de l’Indian Express, a rendu compte de sa vision du Cachemire à son retour à Delhi. « Srinagar est une ville de soldats et de barbelés. Je me suis déplacé avec énormément de difficultés. Je n’ai aucune information en dehors du quartier où j’étais. Cependant, j’ai entendu dire qu’il y avait des manifestations dans la vieille ville de Baramulla. Tous les gens que j’ai croisés étaient choqués. Il règne comme une torpeur étrange. Nous avons entendu parler de deux manifestants morts, mais il n’y a aucun moyen de le confirmer. Le Cachemire est devenu invisible, même à l’intérieur du Cachemire. »

« Le Cachemire est devenu invisible, même à l’intérieur du Cachemire »

La communauté cachemirie disséminée à travers l’Inde est inquiète pour ses proches. « J’ai parlé à ma mère et à ma sœur pour la dernière fois dimanche soir, raconte Danish Qazi, un étudiant cachemiri de Delhi. Nous avons l’habitude de vivre en état de siège, mais jamais une telle paralysie n’avait eu lieu. » Sa voix calme cache sa colère. « Nous n’avons jamais voulu faire partie de l’Inde et la stratégie de New Delhi est de nous contraindre au silence. »

Les autorités ne semblent pas prêtes à relâcher la pression dans l’immédiat. Interrogé par la presse, Nirmal Singh, un responsable du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de M. Modi, a déclaré que les politiciens détenus seraient libérés « dans quelques jours, quand la situation se normalisera ». Danish Qazi, l’étudiant, prédit, quant à lui, un embrasement : « Dès que le couvre-feu sera levé et que les gens découvriront la situation, ils vont descendre massivement dans les rues. Cela va être énorme. Il y aura des morts. » Lui prévoit de rentrer dès que possible dans son village. « Car si des incidents ont lieu au Cachemire, les Indiens d’ici vont se retourner contre nous et nous agresser. Je ne me sens pas en sécurité. Je n’ai pas foi en l’Inde. »

Le premier ministre indien, Narendra Modi, devait s’exprimer devant la nation mercredi 7 août. Mais son discours a été repoussé en raison du décès de l’ancienne ministre des affaires étrangères indienne Sushma Swaraj, l’une des figures du BJP. Atteinte d’une maladie du rein, Sushma Swaraj avait occupé son poste depuis l’élection de M. Modi en 2014 jusqu’en mai, où elle a été remplacée par Subrahmanyam Jaishankar. Son dernier message sur Twitter, trois heures avant sa mort d’un arrêt cardiaque, a été pour féliciter le premier ministre, juste après que son projet de loi sur la réorganisation du Cachemire a été adopté par la chambre basse du Parlement indien : « Merci, premier ministre. Merci beaucoup. J’ai attendu toute ma vie pour voir ce jour. »

Cachemire : d'où vient la crise entre Inde et Pakistan ?
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