C’est l’histoire d’une « pioche », d’une « pelle » et d’un « seau », aurait sûrement écrit Jean de La Fontaine. Ou plutôt de trois ouvriers mandatés par une entreprise de terrassement pour venir décaisser une cave, à Vouzon (Loir-et-Cher). La propriété est cossue, le lieu où ils doivent intervenir en dehors de la maison, semi-enterré. Les trois hommes se mettent au travail en cette chaude journée du 21 juillet 2015. Le premier casse la dalle avec son marteau-piqueur, le deuxième déblaie et ramasse les gravats, le troisième transporte les gravats à l’extérieur à l’aide d’un seau. Mais, à force de labeur, les ouvriers buttent sur un coin plus tenace. « La pioche » casse la dalle, puis laisse « la pelle » s’affairer sur les débris. Il ne sait pas qu’il vient de faire une erreur qui lui coûtera quelque 417 000 euros.

Car en bougeant les blocs de ciment, l’ouvrier qui déblaie les gravats tombe sur une boîte en plastique. « Le seau » s’inquiète qu’elle puisse contenir des explosifs, mais les trois décident de l’ouvrir malgré tout. A l’intérieur, dix lingots d’or. A côté de la première boîte, les travailleurs en distinguent deux autres. Chacune contient douze lingots. Montant de cette découverte : 1 002 376 euros à la revente.

Aussitôt, ils en informent leur employeur, ainsi que le propriétaire – qui se trouve être avocat. Ce dernier propose un protocole de partage, et s’occupe de la vente. Il se réserve la moitié du butin plus deux lingots – pour l’organisation, justifie-t-il. L’employeur, le directeur technique ainsi que le chef d’équipe empochent chacun près de 11 000 euros. Et les trois ouvriers obtiennent, eux, 418 148,40 euros, à diviser en trois. Mais ce jugement à la Salomon attire les curieux, et les ouvriers se rendent rapidement compte qu’ils se sont fait abuser.

La victoire de l’occulis

Car depuis 1804, le code civil et son article 716 sont très clairs à ce sujet : « si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds », peut-on lire. Mais qui, dans ce cas précis, est « celui qui l’a découvert », autrement dit « l’inventeur du trésor », selon le terme consacré dans la législation ?

En première instance, le tribunal estime qu’il n’y a que deux inventeurs : « la pelle » et « la pioche ». Exit « le seau », malgré ses rappels qu’il fut le premier à nommer à haute voix ce que contenaient les boîtes. Dans le droit du trésor, le verbe n’a que peu de valeur.

« L’inventeur est celui qui le premier a rendu le trésor visible »

Mais « la pelle » s’estime encore lésée, et s’offre les services de l’avocat Antoine Béguin, spécialiste français du contentieux lié aux trésors. Devant le tribunal de grande instance de Blois, le conseil plaide en citant une lecture d’un traité du « prince de l’exégèse », le juriste Charles Demolombe, paru en 1862. Il est écrit que « l’inventeur est celui qui le premier a rendu le trésor visible ». Pour lui, aucun doute : c’est en bougeant les pierres que son client a permis « l’occulis », c’est-à-dire la vision des boîtes, et donc des lingots.

L’argument fait mouche. Dans son arrêt du 1er juillet 2019, le tribunal retient que « la pelle » est le seul à pouvoir empocher la moitié du butin – « le caractère collectif des travaux est sans effet sur la qualité d’inventeur », note le tribunal. Les deux autres ouvriers ont donc été condamnés à rembourser les sommes perçues au bénéfice de « la pelle », qui en outre ne sera pas imposé sur ce montant considéré comme un revenu exceptionnel. Lui préfère rester anonyme et ne répond pas aux demandes d’interview, d’autant qu’un pourvoi en cassation n’est pas encore exclu avant le 1er septembre. « Tout s’est joué à quinze secondes », confirme Antoine Béguin, qui reconnaît qu’il s’agit « de la plus grosse victoire de sa carrière ».

Il n’est pourtant pas un nouveau venu dans le domaine. Petit garçon, ses parents trouvent, dans le ruisseau de leur propriété angevine, une cassette. A l’intérieur, deux cents monnaies d’or, enfouies dans les années 1940. Assignée en justice par les héritiers des anciens propriétaires, la famille Béguin remporte le procès. « Il n’y avait pas de testament », souligne l’avocat, qui confesse en être « resté marqué doublement ».

Un trésor et quelques anxiolytiques

Au fil des découvertes, le contentieux du trésor s’étoffe d’une jurisprudence abondante. Et pour cause : l’Hexagone serait le pays qui abrite le plus de trésors. La raison de cette abondance ? L’ancienneté de son occupation humaine, mais surtout la récurrence de ses épisodes belliqueux. « C’est en temps de guerre qu’on cache son trésor, pas en temps de paix », rappelle Antoine Béguin. Dans le milieu des chasseurs de trésor, on raconte ainsi que beaucoup de fortunes auraient été enfouies en France un soir de mai 1981, après la victoire d’un certain François Mitterrand.

Un trésor doit être découvert fortuitement, ou il n’appartiendra qu’au propriétaire du fonds

Aujourd’hui, de nombreux critères définissent la notion de trésor. Ce dernier ne peut ainsi pas être un objet mobilier – une mosaïque, même d’une valeur inestimable, ne saurait ainsi être qualifiée comme telle. Il doit, en outre, avoir été caché volontairement et pas perdu, sans quoi tout portefeuille trouvé au coin de la rue pourrait être revendiqué pour moitié par son « inventeur ». Il doit également être découvert fortuitement. S’il a fait l’objet de recherches, notamment par détecteur de métaux, il n’appartiendra alors qu’au propriétaire du fonds. Enfin, le propriétaire doit être inconnu, et ne pas avoir laissé de prescription dans la transmission.

Mais malgré ces balisages, le contentieux du trésor est « une litanie de conflits et de choses sinistres », résume l’avocat Antoine Béguin, qui a mené ses deux mémoires sur le sujet. Dans son cabinet, ces dossiers ne représentent que 20 % de son activité. Mais contribuent à faire sonner régulièrement son téléphone, selon une courbe qui suit en général l’actualité. Autant dire, depuis le 1er juillet et le verdict de l’affaire de « la pelle » : beaucoup.

A celui qui oserait comparer la découverte d’un trésor à une victoire au Loto, Antoine Béguin répond lapidairement. « Ça n’a rien à voir. Quand on joue, on se prépare quelque part un peu à gagner. Quand on découvre un trésor, c’est la sidération. » Et les questions, innombrables : J’en fais quoi ? Je déclare ? A qui ? J’ai des droits dessus ? J’en parle à mes proches ?

« Le problème d’un trésor, c’est qu’il rend fou », déplore Antoine Béguin. Du Comte de Monte-Cristo à L’Ile au trésor, de Robert Stevenson, « la littérature est généreuse pour faire marcher la machine à fantasme », rappelle l’avocat. Les trésors se logent même dans les faits divers les plus sordides : ne disait-on pas du tueur en série Michel Fourniret qu’il aurait découvert un trésor dans un cimetière ? Parmi les clients d’Antoine Béguin, nombreux sont ceux qui se sont brouillés avec leurs proches, ont reçu des menaces de mort, ont voulu recacher le trésor ou s’exiler en Suisse. Tous lui ont confié les longues nuits d’insomnie et les ordonnances d’anxiolytiques.

Les cas les plus complexes concernent souvent les trésors de plus de deux cents ans, dont la qualification archéologique peut être posée. L’Etat revendique alors le butin comme un trésor national, et ne consent que très rarement à octroyer un dédommagement financier à l’inventeur du trésor. « C’est dommageable, car avec cette attitude, l’Etat prend le risque que certains ne déclarent plus leurs trouvailles », souligne Antoine Béguin. « La France perd beaucoup de trésors archéologiques à cause de cette politique, ils sont vendus à l’étranger, en Belgique par exemple. »

Aider la chance

« Trouver un trésor, c’est que des galères. Le plaisir c’est seulement de le chercher », lâche finalement Antoine Béguin. Mais est-ce encore un trésor si sa découverte n’est pas fortuite ? Dans un sourire, l’avocat confesse avoir « pu aider quelques clients à ramener du hasard dans l’ordre des choses ». Lui plaide d’ailleurs « pour que les gens cachent davantage des trésors, car c’est fascinant de les chercher ». Ses conseils ? Jamais de billets, ou seulement en dollars – les seuls qui ne se démonétisent pas. Si vous optez pour des pièces, choisissez une monnaie ayant cours légal. L’or reste tout de même le choix le plus raisonnable.

Surtout, « on ne cache jamais dans la maison, trop risqué en cas de visites de proches ». On peut en revanche opter pour son jardin, si possible sous un fil électrique, pour créer un rempart magnétique. De même, on préférera une boîte en verre ou en plastique – le bois étant putrescible et le métal trop facilement détecté. « Il faut être malin, en somme », conclut Antoine Béguin, rappelant le cas de cet homme qui avait scotché des bocaux contenant 100 000 dollars autour du tronc d’un sapin. Ce dernier ne perdant jamais ses épines, le conifère avait gardé des dizaines d’années son précieux secret.

De chaque procès remporté, Antoine Béguin demande à recevoir une pièce d’or du trésor, « pour le souvenir, et parce que ce sont des beaux objets ». Parfois, cela fonctionne. De son maroquin, il sort un napoléon III poli par le temps. Du nombre de pièces et du lieu où il les tient cachées, il ne dit dira en revanche rien.