Meeting du parti d’extrême droite Vox, le 26 avril, à Madrid. / OSCAR DEL POZO / AFP

Editorial du « Monde ». En Espagne, les libéraux de Ciudadanos (Cs) et les conservateurs du Parti populaire (PP) ont scellé un nouvel accord de coalition, mardi 6 août, qui va leur permettre de prendre le pouvoir dans la région de Madrid, où les socialistes étaient pourtant arrivés largement en tête lors des élections locales du 26 mai. Pour cela, ils ont dû négocier, directement pour le PP, indirectement pour Cs, avec le parti d’extrême droite Vox, afin qu’il leur apporte son soutien, indispensable pour compléter leur majorité. Après l’Andalousie, la mairie de Madrid et la région de Murcie, une nouvelle digue a sauté et les « trois droites » répètent un scénario qui semble avoir vocation à s’étendre partout où cela est possible.

Même en revoyant fortement à la baisse ses exigences, l’extrême droite espagnole a ainsi obtenu un poids politique et une fenêtre médiatique qui dépassent largement ses résultats aux élections (10 % aux législatives et 6 % aux européennes). Elle disposera d’une tribune pour défendre ses priorités : son combat contre le féminisme, les droits LGBT, l’avortement, l’immigration et l’islam, son nationalisme irrédentiste ou encore son projet de recentralisation radicale de l’Espagne. En se dotant d’un tel allié, le PP et Ciudadanos contribuent à normaliser le discours de l’extrême droite et à en minimiser les conséquences.

L’Espagne, longtemps épargnée par la montée de l’extrême droite en Europe, aurait dû lui faire barrage. Au lieu de cela, aucun cordon sanitaire n’a été mis en place. Ciudadanos, qui se présentait comme un parti centriste capable de s’entendre aussi bien avec la droite qu’avec la gauche, a opéré, par opportunisme, un virage à droite avec l’idée de supplanter le PP. Et les conservateurs, qui ont subi plusieurs débâcles électorales, ont privilégié la possibilité de garder le pouvoir malgré leurs mauvais résultats.

Fragmentation d’un système politique

Le royaume subit les effets de la fragmentation d’un système politique qui reposait jusque-là sur un bipartisme entre conservateurs et socialistes. Celui-ci s’est effondré avec l’apparition de Podemos, de Ciudadanos et de Vox. Et l’Espagne semble incapable de gérer cette nouvelle donne politique où cinq partis récoltent chacun plus de 10 % des voix. On le voit à Madrid, où la droite dépend d’une petite formation d’extrême droite. Mais aussi en Navarre, où les socialistes ont pris le pouvoir en s’appuyant sur la coalition de la gauche indépendantiste basque Bildu, dont une partie est issue de l’ancienne mouvance proche du groupe terroriste ETA.

A l’échelle nationale, Pedro Sanchez, que le PP et Cs ont choisi de diaboliser, n’a pas réussi à former une majorité parlementaire après les élections législatives du 28 avril, qu’il a pourtant remportées avec une large avance sur le deuxième parti, le PP. Il est incapable de s’entendre avec le parti de la gauche radicale Podemos, du fait d’une « méfiance réciproque », comme il l’a reconnu mercredi 7 août. Et Ciudadanos, qui aurait pu rejoindre sa majorité, lui refuse la main qu’il lui avait pourtant tendue en 2016 en l’accusant de « trahir » l’Espagne.

De nouvelles élections législatives, les quatrièmes en cinq ans, sont à craindre. Le message envoyé aux Espagnols serait terrible. Il vaudrait mieux que les politiques laissent de côté leurs vieilles rancœurs et leurs intérêts partisans pour rechercher une solution qui permette au royaume de sortir de l’impasse qui, depuis 2016, le paralyse.