Des enfants philippins avec une pancarte « Nous n’avons pas d’autre pays », lors d’une manifestation contre les expulsions le 6 août à Tel-Aviv. / GIL COHEN-MAGEN / AFP

« N’expulsez pas les enfants ! » L’association de mères philippines en Israël, United Children of Israel, avait ainsi baptisé la manifestation qui a mobilisé un millier de personnes, mardi 6 août à Tel-Aviv. Les participants ont dénoncé le projet du gouvernement israélien d’expulser cet été une cinquantaine d’enfants de travailleurs immigrés, nés en Israël et sans statut légal.

Plus tôt mardi, une travailleuse philippine, Rosemarie Perez, et son fils, Rohan, âgé de 13 ans, ont été arrêtés à Tel-Aviv par des agents de l’Autorité de l’immigration dans le cadre de la procédure de renvoi. Ils ont été placés dans un centre de détention. Plusieurs cas similaires ont été relevés en juillet : incarcérés puis relâchés, mères et enfants disposent d’un délai de quarante-cinq jours pour quitter le pays.

Mardi soir, les manifestants, en majorité des Philippins mais aussi des Indiens, des Sri-Lankais, des Népalais ainsi que des Israéliens, ont appelé à libérer les travailleurs mis en détention avec leurs enfants, et demandé à Israël de mettre fin aux expulsions.

Les travailleurs étrangers sont arrivés en Israël à partir des années 1990 pour combler les besoins en main-d’œuvre dans le bâtiment, le secteur agricole et l’aide à domicile pour les personnes âgées ou handicapées. Le ministère de l’intérieur dénombre actuellement 100 374 travailleurs immigrés légaux, dont 56 311 travaillent dans les soins à domicile. Dans ce domaine, la moitié d’entre eux sont des Philippins, majoritairement des femmes. En outre, environ 100 000 travailleurs, entrés légalement dans le pays, n’en sont pas repartis à l’expiration de leur visa.

« Ils n’ont rien à perdre »

Selon la « loi sur les travailleurs étrangers », votée en 1991, ces derniers disposent d’un visa renouvelable chaque année pendant cinq ans. Dans le secteur des soins à domicile, il peut être prolongé si l’employeur-patient est toujours en vie à l’issue de cette période. S’il meurt avant, le travailleur peut être transféré auprès d’un autre employeur certifié.

L’Etat hébreu a besoin de cette main-d’œuvre bon marché, mais veut prévenir tout ancrage à long terme. Avant d’obtenir leur visa de travail, les postulants doivent déclarer qu’ils n’ont pas de parenté au premier degré en Israël et qu’ils n’ont pas l’intention d’y fonder une famille. Si une travailleuse tombe enceinte, elle peut rester en Israël jusqu’à la naissance de l’enfant, mais doit ensuite décider de partir avec lui ou bien de l’envoyer dans son pays d’origine pour pouvoir renouveler son propre visa israélien. Mais souvent, les femmes restent illégalement en Israël avec leur(s) enfant(s) ; ils y grandissent sans aucun statut légal. Elles croient qu’ils s’assureront néanmoins un meilleur avenir que dans leur pays d’origine.

L’Etat hébreu a besoin de cette main-d’œuvre bon marché, mais veut prévenir tout ancrage à long terme

« Beaucoup de parents ne se déclarent pas auprès des autorités israéliennes et envoient leur enfant à l’école ici. Ils n’ont rien à perdre car, s’ils se déclarent, ils ont toutes les chances d’être expulsés, explique Jean-Marc Liling, avocat spécialisé dans le droit des migrants et des réfugiés. Les parents utilisent aussi le prétexte des enfants car c’est leur meilleure garantie pour rester ici à long terme. »

Les autorités israéliennes ont commencé à procéder aux expulsions d’enfants en 2003. Des organisations de la société civile, comme la Hotline à Tel-Aviv, se sont alors mobilisées. En 2007, le ministère de l’intérieur a mis en place une procédure accordant un permis de résidence permanente aux enfants de travailleurs étrangers nés en Israël : 500 d’entre eux l’ont reçu et leurs parents ont obtenu un permis de résidence temporaire leur permettant de travailler. En 2009, l’Etat hébreu a réitéré ses menaces d’expulsion. Après une longue mobilisation, le processus a été enrayé et 2 500 individus (parents et enfants) ont été régularisés.

« Question de l’identité »

Il y a plusieurs mois, le gouvernement a annoncé la reprise des incitations au départ volontaire et des expulsions. Il a accordé aux familles un délai jusqu’au 15 juillet, la fin de l’année scolaire. Les premières interpellations ont alors commencé. La Hotline estime qu’en 2018 quelques centaines d’enfants sont partis pour leur pays d’origine avec leur(s) parent(s) ; en 2019, ils seraient entre 100 et 200.

Pour justifier leur droit à rester en Israël, certains jeunes manifestants philippins revendiquaient, mardi soir, leur appartenance locale : « Je suis israélienne, je suis allée à l’école ici, je parle hébreu, je mange israélien. Et surtout, je n’ai nulle part ailleurs où aller », a clamé l’une d’elles sur la scène. Quelques mètres plus loin, contenus par un cordon de policiers, une cinquantaine de contre-manifestants criaient aux « étrangers » de « rentre[r] chez [eux] ».

C’est « la question de l’identité de l’Etat d’Israël » qui est en jeu ici, entre « qui est israélien et qui peut se sentir israélien, explique l’avocat Jean-Marc Liling. Personne n’a réfléchi au fait qu’Israël puisse être attractif pour des non-juifs, qu’ils puissent se sentir comme faisant partie de ce pays. »