Manifestation en faveur de l’avortement, à Buenos Aires, le 19 février. / JUAN MABROMATA / AFP

Dans un pays où l’interruption de grossesse n’est permise que dans certains cas, mais où les médecins craignent d’être poursuivis s’ils en pratiquent, comment savoir qui consulter pour ne pas finir dans le circuit clandestin – et extrêmement dangereux – de l’avortement ? C’est pour répondre à ce genre de questions que Dolores Fenoy a mis en place en 2010, au sein du ministère de la santé argentin, un numéro de téléphone gratuit.

Le « 0800 Salud Sexual » permet de s’informer sur tous les sujets liés à la santé sexuelle : méthodes contraceptives, violence sexuelle ou obstétricale, droits des personnes LGBT, cancer du sein ou du col de l’utérus, mais également accès à l’« interruption légale de grossesse » (ILG), ces avortements permis depuis 1921 (en cas de viol ou de danger pour la santé ou la vie de la femme enceinte). « Ce n’est pas simplement un centre d’information, c’est un véritable cabinet de consultation », corrige cette femme à la retraite depuis 2018 qui continue de militer pour la légalisation de l’avortement. Il est principalement destiné aux femmes défavorisées. « Les autres avortent discrètement dans des cliniques privées moyennant de grosses sommes d’argent », souligne Mme Fenoy.

Les personnes enceintes qui craignent pour leur santé si elles poursuivent leur grossesse, ou qui ont été violées, sont orientées vers les centres de santé dont Dolores Fenoy sait qu’ils pratiqueront une ILG sans problème. « La loi actuelle est en fait très large, et comme l’a rappelé la Cour suprême en 2012, il faut donner au mot “santé” l’interprétation qu’en fait l’Organisation mondiale de la santé, c’est-à-dire non seulement l’absence de maladie, mais “un état de complet bien-être physique, mental et social” », souligne-t-elle. Cela revient, en théorie, à permettre l’avortement dans la plupart des situations, comme un état psychique de grande détresse ou des difficultés économiques.

Le ton des patientes a changé

« J’ai mis des années à faire la liste des médecins qui pratiquent des avortements légaux dans tout le pays, précise-t-elle. Quand il s’agit de services dans les hôpitaux, j’ai noté leur emplacement exact, l’étage, s’il faut tourner à droite ou à gauche, pour donner une information la plus précise possible à des patientes souvent désorientées. »

Bien sûr, des militants anti-choix qui ont eu connaissance de l’existence de ce numéro gratuit tentent régulièrement de prendre en défaut ses quinze employés pour prouver que ce centre favorise des avortements hors du cadre légal. « Ils appellent pour dire : “Je suis enceinte et je dois partir en vacances, je veux avorter, où est-ce que je peux aller ?”, raconte Yamila Picasso, une des employées. Bien sûr, nous ne tombons pas dans les pièges, ils sont trop faciles à détecter. »

Le ton des patientes a changé depuis les débats de 2018 sur la légalisation de l’avortement – repoussée par le Sénat. Et le nombre d’appels concernant une ILG a augmenté de 150 % entre 2017 et 2018. « Avant, elles n’osaient pas prononcer le mot “avortement”, elles faisaient des périphrases, parlaient d’un problème à résoudre, explique Dolores Fenoy. Aujourd’hui, elles connaissent leur droit, l’expriment et l’exigent. »