Quand les SMS de l’ex-concubine révèlent qu’elle doit de l’argent
Quand les SMS de l’ex-concubine révèlent qu’elle doit de l’argent
Par Rafaële Rivais
Comment prouver que l’on a fait un prêt, sans reconnaissance de dette ? Un ex-concubin explique qu’il était dans l’« impossibilité morale » de réclamer ce document à sa bien-aimée, mais il produit d’autres éléments.
Jean-Claude a mis Catherine en demeure de lui rembourser une dette de 5 000 euros, mais les juges peuvent-ils accepter un SMS comme reconnaissance de dette, là où le code civil exige un écrit? / Geo Martinez/Panther Media / GraphicObsession
Jean-Claude et Catherine (prénoms inventés) entretiennent une relation amoureuse pendant plusieurs années, avant de rompre, en mars 2014. Le 14 novembre 2014, Jean-Claude met Catherine en demeure de lui rembourser une dette de 5 000 euros. En vain. Il l’assigne donc devant le tribunal de grande instance d’Auch (Gers), afin d’obtenir sa condamnation à lui payer cette somme, avec intérêts au taux légal.
Catherine répond que les 5 000 euros ayant fait l’objet d’un virement du compte de Jean-Claude sur le sien le 5 décembre 2012 constituaient un don, et non un prêt. Elle invoque l’article 894 du code civil aux termes duquel « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».
Menace de saisie
Le tribunal lui demande toutefois de prouver que Jean-Claude lui a fait ce don. Comme elle n’y parvient pas, il la condamne à rembourser son ex-concubin, le 11 mai 2016. Catherine fait appel, en soutenant que le tribunal a inversé la charge de la preuve – ce qui est exact. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 1315 du code civil, c’est à celui qui réclame l’exécution d’une obligation, donc, en l’occurrence, le créancier, qu’il incombe de prouver la dette. Or, indique-t-elle, Jean-Claude n’est pas en mesure de fournir de reconnaissance de dette, comme l’exigerait pourtant l’article 1341 du code civil.
Celui-ci répond alors qu’il dispose d’autres éléments de preuve.
Premièrement, il verse aux débats des échanges de courriels : Catherine y fait part de l’urgence dans laquelle elle se trouve, sous peine de saisie, de rembourser au Crédit foncier un emprunt de 5 000 euros ; elle y indique qu’elle cherche une avance auprès d’un tiers, qu’elle « remboursera une fois le terrain vendu » ; Jean-Claude lui propose de faire immédiatement le virement.
Sites de rencontre
Deuxièmement, Jean-Claude produit les échanges de SMS suivants : « Tu comptes me rendre les 5 000 euros que je t’ai prêter (sic) quand tu auras vendu l’appartement de Leguevin ?
– Ecoute je te confirmerai ca qd j’aurais (sic) vendu l’appartement Si tu veux que nous fassions les comptes nous les ferons […]
– Je ne demande pas à faire les comptes je t’ai prêter (sic) 5 000 euros puisque tu me l’as demander (sic) pour que l’on ne saisisse pas ton appartement je veux juste récupérer mes sous quand tu pourras me les donner […] J’attends une réponse stp ».
Mais les juges peuvent-ils accepter un SMS, là où le code civil exige un écrit ? L’avocat de Jean-Claude invoque l’article 1348 du code civil, qui admet une exception à cette exigence, lorsque l’une des parties n’a pas eu « la possibilité matérielle ou morale de se procurer » la preuve littérale du prêt. Il affirme qu’« en raison de la relation de concubinage avec Catherine, il était dans l’impossibilité morale de se procurer une preuve écrite au moment de la remise des fonds ».
Ce que Catherine conteste, au motif que Jean-Claude aurait, à l’époque, « consulté des sites de rencontres ». Elle produit, pour le prouver, une capture d’écran dont la cour d’appel d’Agen estime toutefois, le 22 mai 2019, qu’elle « n’a aucune valeur probante, faute d’identification fiable de l’émetteur des messages, du contexte de leur transmission, et de l’éventuelle tolérance à celle-ci de Catherine, tant que le couple n’était pas séparé ».
La cour considère que « cet élément isolé n’est pas suffisant pour écarter l’application des dispositions légales susvisées » ; en effet, « la relation de concubinage ayant duré plusieurs années, a généré une impossibilité morale pour Jean-Claude de se procurer la preuve littérale des conventions ayant pu être passées avec sa concubine ». Elle accepte de faire jouer l’article 1348. Elle considère, au vu des pièces produites, que « la preuve du prêt est suffisamment rapportée », et confirme que Catherine doit rembourser Jean-Claude.