ARTE - LUNDI 12 AOÛT À 0 H 40 - DOCUMENTAIRE

C’est un trou paumé, entre Prusse et Saxe. Un bled de quelques centaines d’habitants, relié au reste du monde par une petite gare située à 2 km. Lugau, ses champs et sa jeunesse, qui s’ennuie ferme. C’est pourtant dans ce décor figé qu’au cœur des années 1980, dans ce qui était le village d’un pays aujourd’hui disparu (la République démocratique allemande), un groupe de copains décide de bousculer les habitudes et, de fait, de braver la Stasi – la police politique – pour s’amuser sur de la musique peu appréciée des autorités officielles.

Durant quelques années, Lugau deviendra l’épicentre est-allemand d’une musique libre et festive. L’endroit où toute sa jeunesse se donnait rendez-vous, en dépit des dangers, pour s’amuser. Venant de Berlin, de Leipzig, de Dresde, de Cottbus, après un long voyage en train ou en Trabant, la voiture emblématique du pays, les jeunes Est-Allemands débarquaient le dimanche à Lugau sous les regards suspicieux des locaux. Direction l’auberge, rebaptisée « Club Extrem ».

Alexander Kühne et ses potes

Cet émouvant documentaire, mêlant archives familiales, vidéos d’époque, extraits de concerts et témoignages, raconte l’histoire d’Alexander Kühne, jeune ouvrier réfractaire aux pesanteurs locales, et de ses potes. A l’époque, le seul endroit du village un peu joyeux était l’auberge, disposant d’une salle où des soirées dansantes étaient organisées, avec l’autorisation obligatoire de la police du peuple veillant aux bonnes mœurs. Grâce à la détermination et au culot de la bande d’Alex, cette banale auberge deviendra un lieu mythique de la scène underground.

Nés dans les années 1960, Alex, Henri, Liane et d’autres jeunes de Lugau écoutent les radios de l’Ouest, rêvent de rock, de soirées folles à la londonienne et, parfois, se procurent des disques de glam rock – Bowie est leur idole. En RDA, les discothèques n’avaient pas le droit de passer plus de 40 % de tubes venant de l’Ouest. Mais tous les dimanches soirs au Club Extrem, les autorités locales, croyant avoir affaire à un club de jeunesse socialiste bien comme il faut, laissent faire. Alex et ses amis se moquent de la loi, programment 100 % de musique de l’Ouest et invitent même des groupes punk peu représentatifs d’une saine jeunesse prolétaire…

En RDA, les discothèques n’avaient pas le droit de passer plus de 40 % de tubes venant de l’Ouest

Le 4 mai 1984, une première soirée va faire basculer les dimanches soirs de Lugau dans la folie. S’inspirant du célèbre Blitz Club londonien, Alex et ses amis organisent un événement inhabituel. Tout le monde arrive maquillé, déguisé. Au lieu des quarante invités autorisés, ils sont plus de 500 à venir à Lugau ! Le rapport d’inspection de la police du peuple parle de « gens peints de manière décadente ». Des jeunes qui, à partir de 21 h 30, se déchaînent lors d’un concert punk. C’est le début d’une aventure aussi excitante que risquée.

Durant des années, jusqu’à la chute du Mur, les dimanches soirs de Lugau vont voir débarquer des groupes qui attirent les foules. Parmi eux, les Berlinois de Feeling B qui viennent y donner un concert en 1987. Trente ans plus tard, Paul Landers et Flake Lorenz, deux des musiciens du groupe, reviennent saluer Alex à Lugau. Petit détail : ces deux gaillards sont aujourd’hui mondialement célèbres, membres de Rammstein, le groupe aux millions d’albums vendus ! Les retrouvailles sont émouvantes. Aucun musicien ayant joué dans la salle bondée, miteuse et surchauffée de l’auberge de Lugau n’oubliera cette expérience.

Lugau City Lights, documentaire de Tim Evers (All., 2017, 52 min). www.arte.tv/fr/videos/091561-000-A/lugau-city-lights