Match Egypte-Italie au tournoi féminin de beach-volley des Jeux olympiques de Rio, en 2016. / YASUYOSHI CHIBA / AFP

Tribune. L’interférence du religieux dans le sport est incontestablement un sujet d’actualité qui embarrasse tout autant les pouvoirs publics que les dirigeants sportifs. Un exemple révélateur : les actions de « désobéissance civile » dans une piscine de Grenoble, menées par une quinzaine de femmes en burkini revendiquant le droit de se baigner avec un maillot de bain couvrant, interdit par le règlement intérieur.

Réagissant à la situation, Eric Piolle, le maire écologiste de Grenoble, en appelle au président de la République pour trancher : « Est-ce que le gouvernement veut ou pas que la piscine devienne, comme l’école, un sanctuaire qui soit protégé du religieux, et donc avoir un regard qui est contraire, aujourd’hui en tout cas, aux regards de l’Observatoire de la laïcité et du Défenseur des droits ? »

Allant dans le même sens, les rapporteurs de la mission parlementaire sur les services publics face à la radicalisation mentionnent une proposition consistant à s’inspirer de la loi sur les signes religieux à l’école : « Il peut y avoir là une piste de réflexion, même si les possibilités de réglementer, dans des structures sportives de droit privé, des comportements religieux (même ostensibles) paraissent limitées. »

Les termes du débat sont ainsi posés : d’un côté, une vision étroite de la laïcité, de l’autre, la promotion d’une vision éducative du sport.

Réaffirmant les limites de la laïcité, des guides sont élaborés afin d’aider les personnels d’encadrement à gérer ce type de conflits. L’Union française des œuvres laïques d’éducation physique (Ufolep, première fédération sportive multisports affinitaire de France) publie « Le C.O.D.E. du sport et laïcité », puis c’est au tour du ministère des sports, avec le guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport ».

L’impuissance domine

Dès l’introduction, le ministère précise : « L’ambition de ce guide est de démontrer qu’expression du fait religieux et laïcité ne sont pas, en soi, incompatibles dans le champ du sport. » L’Ufolep se montre encore plus précise en citant les propos de Pierre Tournemire, vice-président de la Ligue de l’enseignement : « Notre société est durablement multiculturelle. Les revendications identitaires ou les pratiques religieuses doivent pouvoir légitiment s’exprimer sur la place publique sans contrainte ni suspicion, aux seules conditions précisées pour l’espace public. »

Ces guides proposent un message simple : la laïcité ne s’applique qu’aux professionnels relevant du statut d’agents publics. S’agissant des pratiquants, l’on se doit de respecter leur liberté de manifester leurs convictions, à condition que cela ne porte pas atteinte à l’ordre public. Les auteurs s’empressent d’ajouter que la notion d’ordre public est à manier avec précaution, car elle risque de cacher une potentielle discrimination pour un motif religieux, se gardant bien d’admettre que le motif religieux masque une discrimination sexiste !

En résumé, faute de réflexion politique sur la fonction sociétale du sport, c’est l’impuissance qui domine. Doit-on en rester là ?

Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, dans une intervention annexée au guide du ministère des sports, réaffirme les limites de la laïcité, mais propose une voie intéressante : « Ici, en réalité, ce n’est d’ailleurs pas une question de laïcité. Cette absence de tout prosélytisme découle des valeurs du sport, rappelées notamment dans la règle 50 de la Charte olympique et dans la loi 4 de la FIFA concernant le football. »

Sanctionner les contrevenants

Il rejoint ainsi la vision promue par l’association belge Panathlon Wallonie-Bruxelles, bras armé du mouvement olympique belge pour l’éthique sportive. Sous l’impulsion de son président, Philippe Housiaux, trois colloques ont été organisés avec des représentants du sport, des religions et de la laïcité, qui ont débouché sur la déclaration « Le Sport, l’esprit de l’humanité », dont l’élément principal est le suivant : « Il/elle accepte, dès qu’il/elle franchit les portes ou entre dans l’espace “sport”, sans aucune exception, pendant l’exercice de sa pratique, à faire siennes et se conformer aux règles du sport, au sens le plus large, sans mettre en exergue ses convictions philosophiques, de façon ostentatoire et intolérante, de quelque manière que ce soit. »

Avec cette même préoccupation à l’esprit, la Ligue du droit international des femmes, soutenue par plus de 100 associations et plus de 360 personnalités, a adressé une lettre ouverte au Comité d’organisation des Jeux de Paris 2024, exigeant l’application de la Charte olympique et des sanctions à l’encontre des contrevenants. Parmi ceux-ci, l’Iran et l’Arabie saoudite, qui soumettent la participation de leurs athlètes féminines à des exigences reflétant un strict apartheid sexuel (participation aux seules disciplines jugées « coraniques », corps couvert de la tête aux pieds et épreuves non mixtes). Parce que les Jeux sont la vitrine de nos sociétés, Paris se doit d’être exemplaire. Rappelons que plus de 50 métropoles dans le monde avaient soutenu notre candidature au motif que « Paris dispose des atouts et de la volonté nécessaires pour donner un nouveau souffle aux valeurs olympiques ». Ainsi, le sport restera le lieu d’apprentissage du respect de la règle unique.

Annie Sugier est présidente de la Ligue du droit international des femmes. Elle a écrit, avec Linda Weil-Curiel et Gérard Biard, Comment l’islamisme a perverti l’olympisme (Chryséis, 2018).

Cosignataires : Michèle André, secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes et de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1988-1991) ; Djemila Benhabib, écrivaine franco-algérienne, femme politique ; Marie-George Buffet, députée de la Seine-Saint-Denis, ex-ministre des sports ; Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne ; Nadia El Fani, réalisatrice, scénariste et productrice franco-tunisienne ; Zineb El Rhazoui, journaliste, militante féministe ; Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d’Oise ; William Gasparini, sociologue du sport, université de Strasbourg ; Benoit Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l’éducation physique, FSU ; Julia Kristeva, linguiste, psychanalyste et écrivaine ; Françoise Laborde, sénatrice de la Haute-Garonne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ; Corinne Lepage, ex-ministre de l’environnement ; Catherine Louveau, sociologue, professeure émérite, université Paris-Sud ; Laurence Marchand-Taillade, présidente de Forces laïques ; Yvette Roudy, ex-ministre pour les droits des femmes ; Georges Vigarello, historien du sport et du corps, directeur d’études à l’EHESS.

Lire complète des signataires.