Jeffrey Webb, en 2012. / Szilard Koszticsak / AP

Quand la justice américaine jugera-t-elle Jeffrey Webb? Pas dans l’immédiat, semble-t-il. Principal protagoniste du FIFAgate, ce scandale de corruption planétaire qui a ébranlé la Fédération internationale de football en 2015, l’ex-président caïmanais de la Confédération d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes (Concacaf) devait officiellement connaître sa peine le 10 septembre. Mais, selon nos informations, il a demandé et obtenu l’ajournement de sa condamnation pour la... dixième fois.

Dans un courrier en date du 7 août et auquel Le Monde a eu accès, son avocat a réclamé ce report à la juge Pamela Chen du District Est de New York, en charge du procès du FIFAgate qui s’est ouvert en novembre 2017, à Brooklyn. Me Ernie Gao du cabinet Clifford Chance a demandé l’ajournement « d’approximativement six mois » de la date de condamnation de son client. « Le gouvernement n’a pas émis d’objection quant à l’ajournement proposé », écrit l’avocat de M. Webb.

Selon nos informations, le jugement de l’ancien vice-président de la FIFA a été décalé au 10 mars 2020. Selon un proche du dossier, M. Webb est désireux de reporter une énième fois sa condamnation « probablement parce qu’il témoigne ou fournit des preuves supplémentaires au gouvernement. »

M. Webb a plaidé coupable en novembre 2015

Extradé aux Etats-Unis après avoir été arrêté lors du coup de filet anticorruption mené par les autorités américaines à l’hôtel Baur au Lac de Zurich, le 27 mai 2015, l’ancien patron de la Concacaf a plaidé coupable, en novembre 2015, pour des actes de « racket, blanchiment d’argent et fraude » et figure parmi les 42 acteurs du football international inculpés par la justice américaine.

Selon le cabinet d’avocats californien Quinn Emanuel, qui défend les intérêts de la FIFA dans cette affaire, M. Webb a notamment réclamé 3 millions de dollars de pots-de-vin à la société Traffic Group lors de l’achat de droits télévisés pour les qualifications de la Coupe du monde dans les Caraïbes.

Suspendu à vie par le comité d’éthique de la FIFA en 2016, M. Webb s’est engagé par ailleurs à verser 6,7 millions de dollars à la Fédération internationale, partie civile dans cette affaire. En 2016, l’instance faîtière du football mondial a réclamé à la justice américaine le versement de dédommagements financiers. Elle demandait la restitution des « salaires, bonus, bénéfices et autres compensations » qu’elle a accordés à ses ex-dirigeants inculpés depuis « au moins 2004. » La FIFA évaluait « ces pertes » à plus de 28 millions de dollars.

Le successeur du controversé Jack Warner

« Etoile montante » de la Fédération internationale, Jeffrey Webb avait succédé, en 2012, au Trinidadien Jack Warner à la tête de la Concacaf. A l’instar de ses deux fils, qui ont reconnu leur culpabilité, M. Warner est, lui aussi, inculpé par la justice américaine pour « paiements illégaux, corruption, racket et blanchiment d’argent » et a été suspendu à vie par la FIFA. Mieux que quiconque, Jack Warner incarne le « côté obscur » de l’organisation mondiale.

L’ancien président de la Concacaf (1990-2011) est accusé par la justice américaine d’avoir reçu dix millions de dollars du gouvernement sud-africain en échange de trois voix en faveur de l’attribution de la Coupe du monde 2010 à Afrique du Sud. De surcroît, le département de justice avance que « M. Warner a entre autres sollicité et obtenu des pots-de-vins dans le cadre des processus d’attribution de la Coupe du monde 1998 ».

Alors qu’il a jusqu’ici évité une extradition vers les Etats-Unis et l’ouverture de son dossier pénal, M. Warner doit verser 79 millions de dollars à la suite de la décision du juge fédéral américain William Kuntz dans le cadre d’une procédure civile. Dans cette affaire ouverte en 2015, Jack Warner est coupable d’avoir détourné plusieurs millions de dollars de la Concacaf.

Adoubé par Sepp Blatter comme son successeur à la tête de la FIFA

Dès son intronisation à la tête de la Concacaf, M. Webb avait déclaré vouloir rompre avec l’ère Warner et avait poli son image de réformateur épris de transparence. Président de la Task force de la FIFA « contre le racisme et la discrimination », il avait même été adoubé par Sepp Blatter, alors indéboulonnable président de la Fédération internationale (1998-2015), comme son successeur putatif.

« Celui qui avait redressé la Concacaf et qui était présenté comme le grand sauveur, j’ai vraiment misé sur lui… et c’est le premier qui a été arrêté (le 27 mai 2015)Moi je ne peux pas être la conscience personnelle de ces gens-là », déclarait M. Blatter au Monde, en décembre 2015.

Le château de cartes de la FIFA s’est écroulé

Depuis l’opération policière à Zurich, le château de cartes de la FIFA s’est écroulé. Lancé deux jours avant le 65e congrès de l’organisation et la réélection de Sepp Blatter pour un cinquième mandat à sa tête, le raid avait été mené à la suite des révélations de l’Américain Chuck Blazer, ancien secrétaire général de la Concacaf, ex-membre du comité exécutif de la FIFA et arrêté pour fraude fiscale. Depuis, l’ex « taupe » du FBI est morte, en juillet 2017.

Et s’ils n’ont pas été inculpés par les autorités américaines, Sepp Blatter et son secrétaire général français, Jérôme Valcke, ont été emportés par cette tornade judiciaire. Suspendu six ans par les instances disciplinaires de la FIFA, sous le coup d’une procédure pénale en Suisse, l’ex-patron de la FIFA avait été poussé à l’abdication, le 2 juin 2015, par son directeur juridique, Marco Villiger, et par les avocats de Quinn Emanuel.

Sepp Blatter ne quitte toutefois plus la Suisse depuis sa déchéance. « Aussi longtemps que les Etats-Unis avaient mis le grappin sur la FIFA, on m’avait dit : “Restez en Suisse, il ne vous arrivera rien.” », assurait-il au Monde, en décembre 2016.

Depuis l’ouverture du procès du FIFAgate, à New-York, l’ex-président de la Confédération brésilienne de football (2012-2015) José Maria Marin et le Paraguayen Juan Angel Napout, ancien numéro 1 de la Confédération d’Amérique du Sud (Conmebol), ont été respectivement condamnés à des peines de quatre et neuf ans de prisons. Quant au Péruvien Manuel Burga, il a été acquitté des faits de « conspiration » par la justice américaine.

Autre figure de la corruption, le Brésilien Ricardo Teixeira, ancien patron de la Confédération de son pays (1989-2012) et gendre de Joao Havelange, l’ex-numéro 1 de la FIFA (1974-1998), est lui aussi inculpé par la justice états-unienne et visé par les autorités de son pays.