Un homme portant des scarifications à Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria, en juillet 2019. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Lorsque Naziru Abdulwahab, 6 ans, a été enlevé dans le nord du Nigeria, son ravisseur l’a emmené à l’autre bout du pays pour le vendre. Mais l’acheteur s’est finalement rétracté. Ce qui a sauvé le petit garçon des réseaux de trafics d’enfants, selon la police, ce sont les scarifications rituelles qu’il porte sur les joues depuis la naissance : le client a craint qu’elles ne permettent de l’identifier. La présence de l’enfant a néanmoins éveillé les soupçons de voisins, qui ont alerté la police, et le trafiquant a été arrêté.

Cet incident, qui s’est déroulé en juin dans l’est du Nigeria, a remis en lumière une pratique ancienne mais en voie de disparition dans la première économie d’Afrique en pleine mutation, avec près de 200 millions d’habitants. Il n’a en tout cas pas échappé aux tradipraticiens, les Oloola, qui en ont fait un argument pour vanter les avantages de la scarification, souvent considérée comme dangereuse pour les enfants, voire associée à une mutilation.

« Notre goût pour ce qui vient de l’étranger nous a détournés de nos coutumes », affirme à l’AFP Mashopa Adekunle, un Oloola de la ville d’Ibadan (sud-ouest) : « Plus personne ne veut que son enfant porte des marques tribales. Les gens voient cette pratique comme archaïque, fétichiste et peu hygiénique. »

Par brûlure ou avec une lame

Les marques revêtent des formes et des motifs différents selon le groupe ethnique. L’incision, pratiquée sur les garçons comme sur les filles pendant l’enfance, se fait par brûlure ou avec une lame. Des Yorouba du sud-ouest aux Igbo de l’est, en passant par les Haoussa, plus au nord, leur finalité varie : affirmation identitaire, guérison, protection spirituelle ou recherche esthétique. Certaines personnalités nigérianes, comme l’ancien président Olusegun Obasanjo, portent de telles scarifications sur les joues.

« Au temps des guerres intercommunautaires, les marques tribales aidaient à identifier les combattants. Vous saviez qui étaient vos amis et vos ennemis sur le champ de bataille », explique Mashopa Adekunle. Cette pratique a commencé à perdre du terrain dans les années 1980. Les Oloola pratiquaient alors environ dix scarifications par mois, contre à peine une seule aujourd’hui, selon l’association des descendants Oloola à Ibadan.

Mashopa Adekunle reconnaît que les guérisseurs, s’ils veulent perdurer, doivent prendre en compte les aspirations de la jeunesse nigériane, qui se tourne de plus en plus vers les tatouages à l’occidentale. « Les Oloola doivent faire davantage pour convaincre que leurs outils de scarification peuvent être utilisés sans danger », dit-il.

Les opposants à cette pratique ont exercé un intense lobbying pour la faire interdire, jugeant qu’elle défigure à vie et expose au risque de contamination par le VIH. En 2017, le Sénat a débattu d’un projet de loi sur « l’interdiction des mutilations faciales » mais, comme de nombreux autres textes, il n’a toujours pas été adopté.

« Nos clients croient en nos pouvoirs »

Dans son dispensaire miteux, tandis qu’il range ses instruments en métal dans un mouchoir blanc, Sefiu Yusuf, président de l’association des descendants Oloola à Ibadan, balaie les critiques sur la dangerosité de ces méthodes traditionnelles : « C’est une campagne de diffamation menée par les ONG et les membres du gouvernement pour nous mettre en faillite. » L’Oloola, qui a hérité son titre de son père, veut croire en la pérennité de sa pratique : « Pas plus tard qu’hier, on m’a amené un garçon, parce que nos clients croient en nos pouvoirs. Même les médecins et les infirmières demandent notre aide quand ils ont des cas compliqués. »

Pour Babatunde Hamzat, autre Oloola d’Ibadan, la disparition de la tradition a de graves conséquences sur la société nigériane, contribuant à l’explosion de la criminalité. « Au temps de nos parents, un enfant portant des marques tribales ne pouvait commettre aucun crime, de peur d’être reconnu, explique-t-il. Mais de nos jours, les gens commettent des crimes avec légèreté, car il n’y a rien qui les identifie. »

Dauda Lawal, un commerçant de 60 ans, arbore fièrement ses scarifications au visage et affirme être heureux de pouvoir les transmettre à ses enfants : « J’étais l’aîné des fils et mes parents m’ont donné des marques tribales. Même si la pratique est en train de s’éteindre, je me suis quand même assuré que mon premier fils en porte, pour préserver l’identité de la famille. Et je serais heureux qu’il fasse la même chose pour son propre fils, parce que cela fait partie de notre culture et qu’il ne faut pas la laisser mourir. »

Un enthousiasme loin d’être partagé par tous les Nigérians, car ces cicatrices sont souvent synonymes de stigmatisation. « Jamais mon enfant ne portera de marques tribales sur le visage, cette pratique est dépassée et malsaine », affirme une esthéticienne de Lagos, Damilola Ajayi. Pour elle, « il est risqué d’utiliser des instruments non stérilisés en ces temps de VIH et d’autres maladies transmissibles ». Et puis, « sans parler de mariage », poursuit-elle, « je ne pourrais pas non plus sortir avec un homme qui a des marques tribales, c’est dégoûtant ».