Matt Mitcham (Peter Mullan)et Robin Griffin (Elisabeth Moss). / PARISA TAGHIZADEH / SEW-SAW FILMS

ARTE - JEUDI 15 AOÛT À 20 H 55 - SÉRIE

Quatre années ont séparé les deux saisons de Top of the Lake (2013, 2017), la stupéfiante série de Jane Campion et Gerard Lee, qu’Arte rediffuse intégralement les 15 (saison 1) et 22 (saison 2) août. Mais, au moment où cette dernière a été révélée, le souvenir de la précédente était encore vivace, sans qu’on ait eu besoin de la revoir.

On était resté marqué par cette très lente et très délétère élégie, dont le cadre était l’étrange, sublime et fantomatique lac néo-zélandais Wakatipu. Un lieu entouré de montagnes, aux rives peuplées par une galerie de personnages janusiens, révélant des strates secrètes, stupéfiantes – et souvent effrayantes – de leurs vies.

Parmi ceux-ci : la petite fille enceinte qui avance dans le lac – dont les communautés autochtones prétendent qu’il est hanté ; les personnages incestueux et pédophiles ; le viol en bande organisée de la jeune policière Robin Griffin (Elisabeth Moss), alors adolescente ; sa mère qui se meurt d’un cancer et qu’elle vient visiter ; la communauté de femmes en reconversion psychique auprès d’un étrange gourou androgyne (incarné par Holly Hunter, que la cinéaste néo-zélandaise dirigeait vingt ans avant dans La Leçon de piano).

Toute une communauté d’âmes réunie dans un phalanstère mortifère et consanguin, où la bizarrerie de presque chacun semble d’un indiscutable naturel. Et le gris plombé, le froid humide du temps qui donnent à ces lieux, sublimes quand le soleil brille, une allure de mausolée à ciel ouvert pour des victimes aux plaies mal refermées.

Perfection glaciale et irradiante

Les six longs épisodes de cette première saison constituaient, aux dires mêmes de Jane Campion, un film en autant de parties ou, ainsi qu’elle l’a plus subtilement commenté : « Un roman dont les épisodes seraient des chapitres. » Mais on avouera s’être fiché de savoir s’il s’agissait vraiment d’une série. Le tout était d’une perfection à la fois glaciale et irradiante.

A son terme, on s’est senti orphelin de cette histoire aux ramifications déconcertantes. Aussi, quand une suite a été annoncée, Top of the Lake 2 : China Girl, on a croisé les doigts et espéré que le singulier génie de Jane Campion soit de nouveau au rendez-vous. Il l’est : la réalisatrice renouvelle le propos en le délocalisant en milieu urbain, à Sydney, en Australie, où travaille la jeune policière qui réintègre donc sa brigade après son enquête en Nouvelle-Zélande, où résidait sa mère.

Mais, ce faisant, Jane Campion accomplit le prodige de conserver la même atmosphère et fait de la ville australienne un lieu surnaturel à l’urbanité diffuse et presque invisible. La mer remplace le lac et agit de manière aussi insidieusement inquiétante. L’une des premières scènes, tournée de nuit, où l’on voit deux personnages précipiter une valise dans l’océan, depuis une falaise où est sis un cimetière, donne le ton : on est encore quelque part « au bout de la route, au bout du monde », comme le disait, des bords du lac, le personnage incarné par Holly Hunter en saison 1.

Les âmes aux tréfonds chavirés sont au rendez-vous. Et il est encore question de sexualité déviante, de prostitution (avec de jeunes animateurs de sites Internet qui notent les performances des jeunes femmes enfermées en maisons closes), de crime organisé, de policiers misogynes et « mouillés ». Une atmosphère glauque et fascinante. On retrouvera même, dans une scène stupéfiante de violence, un personnage essentiel de la saison 1 et l’on découvrira assez vite le produit malheureux du viol de Robin adolescente.

Personnage lunaire et opaque

De sorte que ces éléments assurent assez de lien avec la saison 1 pour qu’on puisse parler de « suite ». Jane Campion introduit cependant un élément de « fantaisie » avec le personnage d’une policière qui seconde Robin dans sa nouvelle enquête. Cette grande duduche blonde aux allures d’Olive Oyl, la compagne de Popeye – incarnée par l’inoubliable Gwendoline Christie – aère le propos et fournit un contrepoint salutairement terrien et lisible au personnage lunaire et opaque de sa supérieure.

Une « vedette invitée spéciale » joue un rôle secondaire mais important dans Top of the Lake 2 : Nicole Kidman, distribuée dans un emploi de femme de son âge – et le paraissant –, qui quitte son mari pour une femme. L’actrice australienne y est parfaite. Sa transformation physique paraît d’ailleurs comme un écho à celle de Holly Hunter dans la première saison.

Elisabeth Moss traverse de nouveau ces épisodes avec son jeu si subtil et continue d’approfondir ce rôle de jeune femme brisée et battante, mais aussi impavide, somnambule et flottante. Récompensée d’un Golden Globe pour son personnage dans la série The Handmaid’s Tale, créée par Bruce Miller, l’actrice américaine continue décidément de fasciner.

Arte - Bande Annonce Top Of The Lake : China Girl / agence Les Présidents
Durée : 00:58

Top of the Lake, saison 1 et 2, série créée par Jane Campion et Gerard Lee. Avec Elisabeth Moss, Gwendoline Christie, Nicole Kidman, Alice Englert, Jacuqeline Joe, Thomas M. Wright, David Wenham, David Dencik, Peter Mullan, (EU-GB-Aust., 2013, 2017, 12 × 55 min).