Abou Lagraa, en mai à Annonay (Ardèche). / LES FILMS DU SILLAGE

FRANCE 3 - LUNDI 19 AOÛT 23 H 40 - DOCUMENTAIRE

Un homme de dos, le chorégraphe Abou Lagraa, contemple un danseur sur un écran. Le jeune interprète fougueux qui s’élance, c’est lui au milieu des années 1990 dans un solo chorégraphié par Rui Horta. « C’est un choc, un choc, s’exclame-t-il très ému devant les images. Parce que cette pièce m’a fait connaître en tant que danseur dans le monde entier, m’a ouvert les portes lorsque je suis devenu chorégraphe puisque les programmateurs me connaissaient et m’ont soutenu très vite. » A 49 ans, Abou Lagraa, au cœur de ce documentaire intitulé La république des sens, écrit par Christophe Acker et Fleur Albert, qui signe seule la réalisation, revient sur son parcours d’artiste à la tête de la compagnie La Baraka depuis la fin des années 1990.

Installé à Annonay, en Ardèche, où il est né, il y a fondé avec sa femme Nawal Lagraa, en 2018, un espace au sein de la chapelle Sainte-Marie. « La république, c’est çà, c’est donner la place aux autres, la parole à tout le monde, sa chance à tout le monde, explique-t-il à propos du titre. La république, c’est être pauvre et devenir riche, et inversement, c’est la possibilité d’être libre, de voyager, de rêver et d’accomplir ses rêves. »

Vitalité affolante

Saisi en pleine répétition avec un jeune groupe d’interprètes, Abou Lagraa transfuse l’increvable énergie qui l’anime depuis ses débuts de danseur et chorégraphe contemporain. Sa pièce Wonderful One, présentée en mai 2018 au Théâtre national de Chaillot, à Paris, irradie d’une vitalité affolante entre attaque guerrière et flexibilité souple.

D’origine algérienne, il a commencé très jeune à danser avec sa mère et ses amies pendant les mariages. Il entame ses apprentissages à 16 ans au Conservatoire de région à Annonay avant d’intégrer le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Il collabore comme interprète de Rui Horta de 1993 à 1996. Lorsqu’il est filmé en plein air par Fleur Albert, son dynamisme intense, son mouvement spiralé, explosent. « Moi, mon combat, ça a été de faire accepter à mon père musulman de l’ancienne génération que la danse pouvait être un métier pour un homme, qu’elle n’était pas un péché, et plus largement cela a été de le faire accepter aux garçons de mon quartier », insiste-t-il.

Intercalant des rencontres avec différentes personnalités comme par exemple Philippe Cohen, aujourd’hui à la tête du Ballet du Grand Théâtre de Genève, qui fut son directeur au Conservatoire de Lyon, et des images de répétitions, ce portrait d’Abou Lagraa retourne les couches intimes et artistiques en s’approchant au plus près du danseur en action. « Tu nous donnes tellement à voir, laisse-nous respirer », insiste amicalement Philippe Cohen lors de la création du spectacle Wahada, pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève en 2018. Abou Lagraa évoque une blessure du coude, à 24 ans, qui l’a poussé à inventer son écriture chorégraphique. « J’ai tout appris, ma gestuelle d’aujourd’hui grâce à ça, raconte-t-il. Comme je ne pouvais pas utiliser mes bras pour tourner, j’utilisais mon bassin… »

Le cheminement très personnel d’Abou Lagraa se révèle dans des pièces variées comme Le Cantique des cantiques (2015), en complicité avec Mikael Serre, Nya (2010) ou encore El Djoudour (2013), toutes les deux conçues pour de jeunes hip-hopeurs algériens. Parallèlement, il a créé en 2010 le Ballet contemporain d’Alger pour soutenir les interprètes autodidactes de son pays d’origine et les former. Lorsqu’il glisse quelques mots aux danseurs pour les propulser sur scène, il dit : « De la passion, du voyage, des paysages ».

D'eux sens. Chorégraphie d'Abou Lagraa - Cie La Baraka
Durée : 07:01

Abou Lagraa, la république des sens de Fleur Albert, écrit avec Christophe Acker (Fr, 2019, 55 min).