Emmanuel Macron et Vladimir Poutine à Brégançon (Var), le 19 août 2019. / GERARD JULIEN / AFP

Editorial du « Monde ». Lorsqu’il s’agit de la Russie, Emmanuel Macron, le président pressé, préfère parier sur « le temps long ». On ne saurait le lui reprocher : l’affaire est complexe et l’interlocuteur coriace. Au moment même où, lundi 19 août, sur la frontière austro-hongroise, la chancelière Angela Merkel et le premier ministre hongrois, Viktor Orban, célébraient les beaux jours du passé et le trentième anniversaire du premier coup de tenailles dans le rideau de fer, le président français recevait, lui, son homologue russe, Vladimir Poutine, sur les bords de la Méditerranée pour parler de la construction du futur.

M. Macron ne ménage pas sa peine. Le choix du cadre intime et idyllique du fort de Brégançon pour cette rencontre a été maintenu, malgré la désastreuse image donnée par les arrestations massives de manifestants prodémocratie ces dernières semaines à Moscou. S’il a fermement rappelé l’importance de la liberté d’expression, du droit de manifester et de celui de participer aux élections, le président français a en revanche évité d’autres sujets qui fâchent, comme les ingérences russes dans les processus électoraux des pays occidentaux ou la détention abusive à Moscou de 24 marins ukrainiens et celle du cinéaste de Simferopol (Crimée) Oleg Sentsov.

Dostoïevski, Tourgueniev et Stravinsky ont de nouveau été convoqués pour témoigner d’une Russie que le président français qualifie généreusement de « grande puissance des Lumières ». « L’imaginaire partagé », espère-t-il, fera le reste : vu de Paris, et même de Bormes-les-Mimosas, dans ce « moment profondément historique de recomposition de l’ordre international », la relance du dialogue avec Moscou vaut bien quelques excès de lyrisme.

L’isolement a un coût pour la Russie

Reste que Vladimir Poutine, lui, n’a que faire de l’imaginaire et des Lumières. Le bouquet de fleurs apporté à Brigitte Macron – le même que celui offert à Angela Merkel à Sotchi l’an dernier – ne doit tromper personne : le maître du Kremlin aime la force et méprise l’Occident. Il s’est abstenu de toute flatterie à l’égard de son hôte. Pour M. Poutine, en butte à de nombreuses difficultés chez lui, l’intérêt de cette visite à Brégançon est de montrer que la Russie est redevenue un acteur important sur la scène internationale, à tel point qu’il importe à la France, puissance invitante du G7 cette année, de le recevoir lui, à quelques jours de ce sommet, dont il est exclu. La perspective, aussi laborieuse soit-elle, d’un retour en grâce de la Russie auprès de l’Union européenne, avec, en ligne de mire, l’assouplissement des sanctions, vaut bien le déplacement sur la Côte d’Azur.

Le président russe a ainsi pris soin de remercier M. Macron de l’appui de la France au retour plein et entier de la Russie au sein du Conseil de l’Europe : cette mesure a été saluée à Moscou comme une grande victoire diplomatique, preuve que l’isolement a un coût pour la Russie. Il a tout aussi bien pris soin de laisser entendre – son seul signe positif lundi devant la presse – que des progrès étaient possibles sur la situation dans le Donbass : M. Poutine sait que rien n’avancera avec l’Union européenne s’il ne bouge pas sur l’Ukraine, et il sait que le président français veut être moteur sur ce sujet.

Il est logique que M. Macron parle avec M. Poutine, s’il veut essayer d’avancer sur les dossiers syrien, iranien et libyen. Il est plus risqué, cependant, de mêler ces sujets brûlants et le rêve fumeux d’une « architecture de sécurité » de Lisbonne à Vladivostok. Le temps court et le temps long, en somme.