Brésil : le vice-président, Michel Temer, voit son heure venue
Brésil : le vice-président, Michel Temer, voit son heure venue
Par Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)
Dilma Rousseff accuse celui qui devrait lui succéder si la procédure de destitution (impeachment) va à son terme, d’être le « chef des conspirateurs ».
Les Brésiliens le connaissent à peine. Discret, élégant, un brin glacial, Michel Temer fait partie de ces aristocrates qui s’adossent rarement à leur chaise. C’est cet homme de l’ombre, fils d’immigrés libanais, professionnel de la politique et des intrigues parlementaires qui, demain, pourrait gouverner le Brésil. Presque par accident. « Si le destin m’y conduit, je serai prêt à assumer la fonction », a-t-il assuré au quotidien O Estado de Sao Paulo, le 13 avril.
En tant que vice-président, l’ancien chef du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) qui n’atteint pas 3 % dans les sondages, grimperait sur la première marche du pouvoir si la présidente Dilma Rousseff, membre du Parti des travailleurs (PT, gauche), venait à être destituée.
Dimanche, lors d’une session plénière, la Chambre des députés s’est prononcée pour la procédure de destitution (impeachment) engagée contre l’ancienne guerillera. Les élus ont considéré qu’elle avait bien commis un « crime de responsabilité » : on lui reproche d’avoir eu recours à une astuce comptable pour minimiser l’ampleur du déficit public.
Il revient maintenant au Sénat de former une commission pour analyser la demande de destitution puis de décider, à une majorité simple, de la poursuite ou de l’arrêt du processus. En cas de vote défavorable, Dilma Rousseff sera écartée du pouvoir pendant 180 jours, jusqu’à un vote final du Sénat à la majorité des deux tiers.
Indignation de la présidente
Michel Temer croit son heure venue et le fait savoir. Lundi 11 avril, un discours « d’union nationale » censé être prononcé en cas d’éloignement de la présidente, a fuité opportunément, relayé par les médias brésiliens. On y découvre un homme solennel qui se pose en réconciliateur de la nation, prévenant des « sacrifices » à accomplir pour renouer avec la croissance et promettant les réformes nécessaires au pays, tout en garantissant la pérennité des programmes sociaux.
Pas une fois n’apparaît le terme de « corruption », fléau du pays, souligne Elio Gaspari dans un éditorial titré « Le discours du trône de Temer », publié le 13 avril dans la Folha de Sao Paulo.
Qualifié d’« éjaculateur précoce » dans les couloirs du Planalto, M. Temer a aussi suscité l’indignation de Dilma Rousseff. Ecœurée, la présidente qui, par deux fois, fit campagne à ses côtés, voit dans son ex-allié le « chef des conspirateurs ». Le rôle de traître adjoint étant, à ses yeux, occupé par Eduardo Cunha (PMDB), président de la chambre des députés, proche des évangéliques, accusé de corruption et blanchiment d’argent.
Chef d’orchestre du vote de dimanche, M. Cunha veut transformer le suffrage en un spectacle grand public, diffusé sur la Globo, la chaîne télévision populaire qui a, pour l’occasion, demandé à décaler les matchs de football prévus ce jour-là.
Michel Temer n’est pas l’homme que les Brésiliens attendent, mais l’expert en droit constitutionnel croit en son destin. Les uns après les autres, les partis alliés au PT abandonnent le gouvernement, se positionnant en faveur de la destitution.
Après le PMDB fin mars, le Parti progressiste (PP, droite), le Parti républicain brésilien (PRB, droite), le Parti socialiste brésilien (PSB, gauche) et le Parti social démocrate (PSD, droite) se sont prononcés en faveur du départ de Dilma Rousseff.
Le temps des enchères
L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) a beau batailler en coulisses pour sauver le gouvernement de sa protégée, offrant des ministères en échange de l’appui des parlementaires, l’hémorragie continue. Car, face à lui, le clan Michel Temer fait monter les enchères, promettant une carrière aux députés opportunistes.
« Les indécis se positionnent dans le camp qui a le plus de chances de l’emporter. Plus les démissions s’accumulent, plus le gouvernement est fragilisé », observe Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo.
« L’impeachment est consommé », en conclut Duarte Nogueira, député du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) opposé depuis toujours au gouvernement. « Le Brésil en sera soulagé », pense-t-il, déjà séduit par le discours de Michel Temer.
En cas de défaite du gouvernement de Dilma Rousseff, Michel Temer pourrait toutefois être lui-même inquiété par les développements de l’enquête Lava Jato qui a mis au jour le scandale de corruption lié au groupe pétrolier Petrobras. Son nom a été cité et une procédure d’impeachment a été lancée contre lui.
Et quel que soit le résultat du vote, la rue devrait à nouveau gronder, opposant défenseurs et adversaires du PT. Devant la crainte d’affrontements, un mur a été érigé sur l’esplanade des ministères, pour séparer les deux camps de manifestants. Le « mur de Brasilia », symbole de la barrière qui divise déjà profondément la société brésilienne.