Un chirurgien de 68 ans, incarcéré depuis plus de deux ans, doit comparaître d’ici à quelques mois devant les assises de Saintes (Charente-Maritime) pour des faits de viols et d’agressions sexuelles sur quatre mineures. Mais de nouveaux développements, révélés mardi 20 août par La Charente libre, laissent planer le spectre d’une affaire d’une toute autre ampleur, avec la découverte de carnets comprenant plus de 200 noms d’enfants. Les faits se seraient déroulés durant trois décennies dans plusieurs départements du centre et de l’ouest de la France.

  • De carnets inquiétants découverts après une accusation de viol

Si l’affaire a éclaté au grand jour, c’est d’abord grâce à la dénonciation et aux mots simples d’une enfant de 6 ans. Un jour de printemps, en 2017, à Jonzac, en Charente-Maritime, cette petite fille et son père rentrent de promenade et aperçoivent leur voisin, un chirurgien spécialisé en chirurgie viscérale, avec qui la famille entretient des rapports distants. Pressée de regagner la maison, l’enfant confie alors à son père que l’homme qu’ils viennent de croiser a récemment exhibé son sexe devant elle, à travers la grille qui sépare les jardins des deux propriétés voisines.

Les gendarmes sont alertés et le chirurgien – déjà condamné à du sursis en 2005 pour consultation et diffusion d’images d’un mineur à caractère pornographique – est placé en garde à vue. L’enquête révèle que la petite fille, en plus de l’acte exhibitionniste, a été victime d’un viol qui a eu lieu sous les yeux de son petit frère alors âgé de 2 ans. Lors d’une perquisition au domicile du suspect, les enquêteurs font alors une découverte des plus sordides. Sous le parquet, ils exhument une collection de perruques, de jouets sexuels, de photos du suspect nu, mais aussi des poupées, des images pédopornographiques et surtout des carnets, sortes de journaux intimes, au contenu difficilement soutenable.

Des textes et des dessins réalisés pendant les trente dernières années décrivent dans les détails une longue litanie d’actes – ou de fantasmes – pédophiles. Les enquêteurs relèvent plus de deux cents prénoms consignés par le chirurgien. C’est alors que commence la deuxième enquête révélée par La Charente libre. Titanesque, elle consiste à retrouver chacune des personnes désignées par le chirurgien et à établir si les faits décrits ont bel et bien eu lieu.

  • A la recherche de plus de 200 victimes potentielles

Le chirurgien a été incarcéré en mai 2017. Près de deux ans après, le 25 mars 2019, il a été renvoyé aux assises pour des agressions sexuelles et des viols commis sur la jeune victime dont le récit a tout déclenché, mais également sur deux de ses nièces et une quatrième victime qui se sont manifestées ensuite.

Selon Me Francesca Satta, avocate des parents de la petite fille de Jonzac, les actes décrits par ces trois autres victimes ont bien été consignés par leur auteur présumé dans le carnet en question. S’il n’existe à ce stade aucune preuve que tous les autres actes décrits ont effectivement été commis, « cela tend à crédibiliser l’idée selon laquelle une partie au moins de ce qui est évoqué dans les écrits du chirurgien a bien eu lieu », explique l’avocate au Monde. Selon l’enquête du Parisien, le suspect a de fait reconnu plusieurs agressions sexuelles lors des interrogatoires – mais aucun viol. Pour Me Francesca Satta :

« Cette affaire est hors norme du fait de la personnalité du suspect, mais aussi du fait de ses deux volets. Suite à la perquisition, l’ampleur du nombre de ses victimes potentielles avec plus de deux cents noms de garçons et de filles pendant des années, qui sont autant de pistes vers des personnes qui pour beaucoup sont aujourd’hui majeures et n’ont pas nécessairement de souvenirs de ce qui a pu leur arriver. »

Un premier procès doit se tenir à la fin de 2019 ou au début 2020 au tribunal de Saintes, selon un communiqué du parquet de La Rochelle publié mercredi, mais l’enquête préliminaire lancée sur la base des carnets est en cours. Elle consiste à croiser les dates, les noms des personnes mentionnées par le chirurgien et les données contenues dans les archives des établissements où il a exercé, les actes en question étant souvent décrits par le suspect comme ayant eu lieu au sein des services hospitaliers dont il avait la charge. L’enquête a été confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Poitiers, dans la Vienne.

D’après une source citée par La Charente libre, les mineurs traités dans les hôpitaux où officiait le chirurgien constituaient un « vivier facile ». Il aurait commis des agressions sexuelles sur certains d’entre eux alors qu’ils se trouvaient « en phase de réveil » après une opération. Le quotidien d’Angoulême cite ainsi un homme trentenaire, opéré en 2004 à Lorient alors qu’il avait 14 ans et qui a appris par les enquêteurs que son nom figurait dans le carnet du médecin. Déjà, sur les réseaux sociaux, les victimes présumées du chirurgien tentent de se regrouper pour défendre leurs intérêts, rapporte La Charente libre. Sur Facebook, un groupe privé créé le 6 juillet « pour toutes les personnes qui ont été victimes du chirurgien » compte actuellement 66 membres.

  • Le début d’une longue traversée judiciaire

Pour l’avocat du médecin, MThibaut Kurzawa, il est nécessaire d’éviter l’emballement. Contacté par Le Monde, il rappelle que « les 200 noms ne font pas 200 faits » : « L’existence d’une déviance est incontestable, mais dans le carnet, certains des actes sont décrits au conditionnel ou au futur. Il faut prendre du recul et faire la part des faits et des fantasmes sans perdre de vue la présomption d’innocence. »

Le procès qui va s’ouvrir dans les prochains mois ne concernera que la jeune victime de Jonzac et les trois autres plaignantes, pour les chefs de « viol sur mineur par personne ayant autorité, viol sur mineur de moins de 15 ans, agression sexuelle par personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions, agression sexuelle incestueuse sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité, exhibition sexuelle, consultation et diffusion d’images d’un mineur à caractère pornographique ». Le médecin encourt déjà une peine de vingt ans de réclusion.

Le parquet de La Rochelle a précisé que les investigations se poursuivaient pour « identifier et entendre d’autres éventuelles victimes dans l’entourage proche ou professionnel de l’accusé » sans pour le moment donner de détail sur le nombre et la nature des faits qui sont reprochés au chirurgien.