David Gallard

Collection « Histoire & civilisations ». Musée d’histoire, le château des ducs de Bretagne présente des expositions de civilisation et teste, à Nantes, un mode de transmission actif et militant. Comme l’histoire, le musée est une matière vivante. Comme l’histoire, le musée se réécrit en permanence. A Nantes, la forêt d’Amazonie et la magie des chamanes font escale au château des ducs de Bretagne. Etrange mélange ? Pas vraiment. Consacré à son territoire, le musée embrasse l’histoire globale. Ses salles – présentant des collections permanentes comme des expositions temporaires – ont vocation à porter un regard sur l’autre : celui que l’on minore, que l’on oublie ou simplement ignore. Hier les Vikings, aujourd’hui les populations d’Amazonie, demain Gengis Khan… le musée oscille avec habileté entre histoire et civilisations.

Sous la canopée, le cri d’un peuple

Restituant l’atmosphère de la forêt, le chant des oiseaux et les incantations chamaniques, l’immersion que procure l’exposition « Amazonie » se nourrit de 350 œuvres, photographies et objets – couronnes et diadèmes de plumes chatoyantes, masques de rites de passage, figurines anthropomorphiques, parures magiques, lances enduites de curare, accessoires du quotidien… Mais ici l’exotisme n’a pas cours. Venue du Musée d’ethnographie de Genève (MEG), où elle a été conçue par son directeur, Boris Wastiau, avant d’être présentée à Montréal, l’exposition nantaise explore les traits, les usages, la spiritualité et les systèmes de pensée d’une culture immatérielle en danger.

Au même titre que les conférences des ambassadeurs indiens qui arpentent le monde depuis 1920, cette « tournée internationale » met en lumière, dans un propos objectif, factuel et sensible, une quinzaine de peuples issus des 246 ethnies (soit 900 000 individus) en survie au Brésil. Rappelons que depuis le XVIe siècle, 80 % des populations indiennes ont été décimées. Telle est la veine qu’explore le Musée d’histoire de Nantes, nourrissant sa mission scientifique, muséale et culturelle d’une dimension citoyenne. Ainsi, au-delà des productions artistiques, rituelles et usuelles des Amazoniens, sont évoquées, dans le parcours de l’exposition, les spoliations et persécutions de tous ordres, soulignant le caractère génocidaire de la déforestation au terme de cinq siècles d’extermination. Et, dépassant la prise de conscience, le musée propose au public d’agir à sa mesure et concrètement en participant au don, destiné au peuple Ashaninka, d’une fontaine Safe Water Cube, capable de rendre tout type d’eau potable.

Regarder l’histoire en face

Cette démarche s’inscrit dans le droit-fil du projet scientifique du musée qui, s’appuyant sur l’histoire locale de la ville, ouvre sa réflexion – et celle du visiteur – sur l’autre, l’ailleurs, et les enjeux qui en découlent. Ainsi, au fil des 32 salles qui traversent le château et l’histoire nantaise, deux espaces, en constante évolution, s’arrêtent sans tabou, pathos ni posture sur la traite négrière et la seconde guerre mondiale. La période esclavagiste de la cité est traitée d’un point de vue factuel, mettant en regard les documents relatifs au commerce triangulaire, les développements économiques bénéficiant aux armateurs et négociants, ainsi que les moyens palpables d’entrave des esclaves.

« Nous interdisant de juger l’histoire à rebours, nous rendons compte d’une complexité historique sans raccourcis ni partis pris. A l’instar de lectures contradictoires, nous proposons au visiteur de mener sa propre réflexion dans un rapport direct à l’œuvre, à l’objet, au document, afin qu’il reste un acteur conscient du quotidien », explique Krystel Gualdé, directrice scientifique du musée. De même, les salles dévolues à la seconde guerre mondiale écornent le mythe d’une ville qui se voyait avant tout résistante et martyre en soulignant – archives de délations à l’appui – l’élan collaborationniste qui l’anima aussi. « En suscitant la fugacité du doute, nous interrogeons les certitudes, nous ébranlons des pseudo-évidences qui masquent la réalité historique », poursuit-elle, rappelant notamment que, la veille de la rafle du Vél’d’Hiv, une rafle a eu lieu à Nantes.

Avec la volonté de nourrir la curiosité publique dans l’échange, la rigueur et l’empathie, se déroule la biennale Expression(s) décoloniale(s), qui invite artistes et historiens d’Afrique à porter leur regard sur les collections du musée. Ainsi, par son histoire, l’identité multiple de la ville entre en résonance avec des enjeux qui dépassent son territoire.

Par la mise en regard des complexités historiques, l’expérimentation du château des ducs – dont la fréquentation, en constante évolution, atteignait 430 000 visiteurs en 2018 – semble rejoindre un mouvement discret mais patent qui, comme aux Pays-Bas, en particulier au sein du département d’histoire du Rijksmuseum, invite à décrypter dans la peinture du XVIIe au XIXe siècle les stigmates de l’histoire globale. Actif, citoyen, inventif, le musée du XXIe siècle semble vouloir changer le cours des choses et, à cette fin, ne cesse de trouver à l’histoire de nouveaux attraits. Ainsi en ira-t-il, par exemple, des reconstitutions historiques, telle celle de la bataille de Waterloo à Hougoumont, en Belgique, ou au Clos-Lucé (Val-de-Loire) célébrant Léonard de Vinci incarnant l’histoire, une matière vivante à interroger et à transmettre.