Ce que valent les mesures annoncées par Manuel Valls à la jeunesse
Ce que valent les mesures annoncées par Manuel Valls à la jeunesse
Par Séverin Graveleau, Marine Miller, Eric Nunès
Insertion professionnelle, accès au logement, bourses pour les lycéens et étudiants… Décryptage, avec l’aide de spécialistes, de la portée attendue de chacune des mesures présentées lundi 11 mars.
Manuel Valls, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, et Myriam El Khomri, ministre du travail, recoivent les dirigeants des syndicats étudiants, le 11 avril, à l'Hôtel Matignon à Paris. | CHARLES PLATIAU/REUTERS
Augmentation des bourses et aide à la recherche d’emploi, coup de pouce dans l’obtention d’un logement, amélioration de la rémunération des apprentis… Les mesures annoncées lundi 11 avril par Manuel Valls visent à aider les jeunes, du lycée jusqu’aux débuts de la vie professionnelle, alors qu’ils ont été nombreux à manifester contre le projet de loi Travail, et participent à la mobilisation dans le cadre de Nuit debout. Que contiennent précisément les annonces du gouvernement ? Répondent-elles aux problèmes des jeunes ? Détails et décryptage.
Création d’une aide à la recherche du premier emploi
Intitulée ARPE, elle entrera en vigueur à la rentrée 2016, et sera versée pendant quatre mois aux jeunes diplômés d’origine modeste qui n’ont pas trouvé de poste. Son montant sera identique à celui de la bourse sur critères sociaux perçus lors de l’année d’obtention de leur diplôme de BTS, DUT, licence, licence professionnelle, master et diplôme d’ingénieur. Concernant les titulaires d’un CAP ou d’un bac professionnel, cette bourse sera de 200 euros par mois.
Pour Alberto Lopez, directeur du Céreq (organisme qui sort tous les trois ans une enquête d’insertion), la durée prévue a du sens, puisque les jeunes (diplômés et non-diplômés) mettent en moyenne quatre mois à trouver un poste. Mais interrogé sur l’efficacité de cette mesure, le directeur du Céreq estime qu’il est toujours très difficile de réagir sur des annonces qui ne sont pas stabilisées. « La réussite du système d’apprentissage allemand s’explique en partie par la place qu’occupent les entreprises, à la fois dans le financement mais aussi dans l’implication dans la formation », note-t-il.
Revalorisation de 10 % des bourses pour les lycéens
C’est un coup de pouce à 28 millions d’euros que le gouvernement a promis aux lycéens. Dès la rentrée, les sommes versées aux lycéens boursiers devraient faire un bond de 10 %. En moyenne, cela représente une hausse de 63 euros sur l’année, pour atteindre au total 697 euros, alors qu’actuellement les montants s’échelonnent de 393 à 834 euros, en fonction des ressources.
L’annonce a été applaudie par les élus lycéens. « Même si c’est insuffisant pour répondre à toutes les charges, nous sommes vraiment contents de l’avancée du gouvernement », se réjouit Arthur Moinet, secrétaire général du Syndicat général des lycéens (SGL), à l’unisson de l’UNL et de la FIDL. Ce qui n’empêche pas les trois organisations lycéennes d’annoncer leur participation à la prochaine journée de mobilisation contre la loi El Khomri.
Versement de bourses aux étudiants des classes moyennes
Côté étudiants, le gouvernement promet de faire bouger le seuil d’obtention d’une aide financière. Les boursiers échelon « 0 » (qui ne touchent pas d’argent mais bénéficient de l’exonération des droits de scolarité et de cotisation à la Sécurité sociale étudiante) passeront à l’échelon « 0 bis », avec, à la clef, une bourse annuelle de 1 000 euros, versée en dix mensualités. 25 000 étudiants devraient être concernés, si l’on se base sur le nombre de boursiers de l’échelon « 0 » en 2015-2016.
Pour mémoire, l’échelon « 0 bis » avait été créé à la rentrée 2014. « C’est une satisfaction pour l’UNEF », salue son leader, William Martinet, qui appelle lui aussi à poursuivre la mobilisation jusqu’au retrait de la loi Travail.
Aide à la reprise d’études pour les décrocheurs de 16 à 18 ans
Une bourse de 1 000 euros, versée en une seule fois, est promise à la rentrée pour quelque 12 500 jeunes qui reprendraient leurs études, alors que le nombre de décrocheurs atteint 110 000. Il s’agit d’une « mesure venant en complément de toutes les autres mises en œuvre depuis le début du quinquennat en faveur des décrocheurs », et ces bourses seront destinées « à un certain type d’élèves, dont les critères d’éligibilité seront précisés prochainement », indique au Monde le ministère de l’éducation nationale, qui ambitionne de « pérenniser » ce dispositif.
Voilà une démarche qui « surprend » la sociologue et spécialiste du décrochage scolaire Maryse Esterle : « Cela me fait penser à une initiative lancée il y a quelques années, tout aussi curieuse, de payer les élèves qui fréquentaient assidûment leur lycée », explique-t-elle. La mesure en question était restée sans suite. Et pour cause, « on ne paie pas des élèves pour aller en cours ! Une telle bourse ne sera pas incitative », estime-t-elle, d’autant plus que la « raison du décrochage est rarement financière » et que beaucoup de jeunes décrocheurs viennent de milieu modeste et « bénéficient, à ce titre, déjà de bourses sur critères sociaux ».
En versant « cette somme, rondelette pour un jeune », en une seule fois au début de l’année, « le risque n’est-il pas qu’il l’empoche et ne continue pas ensuite ? », interroge-t-elle. Quelle explication à ces camarades « qui eux, n’ayant jamais décroché, n’y auront pas droit » ? Elle propose « d’utiliser l’argent prévu », 12,5 millions d’euros, pour « abonder le budget des missions locales ou des associations qui prennent en charge ces jeunes ».
Augmentation du salaire des apprentis
Matignon a annoncé une augmentation des minima salariaux légaux des jeunes apprentis de 16 à 20 ans, avec mise en application au 1er janvier 2017. Actuellement, les apprentis touchent 25 à 78 % du SMIC (1 466 euros bruts), en fonction de leur âge et de l’année de formation. « La hausse pourrait tourner autour de 30 à 40 euros mensuels », estime François Bonneau, président (PS) de la région Centre Val-de-Loire et président délégué de l’Association des régions de France, lesquelles sont impliquées dans le financement de l’apprentissage.
La mesure a été chiffrée à 80 millions d’euros et ne devrait pas coûter un centime aux employeurs. Mais le vice-président de la CGPME, Jean-Michel Pottier, qui critique le manque de lisibilité des politiques publiques sur l’apprentissage, pronostique « une nouvelle usine à gaz », et « ne voit pas avec quel mécanisme l’Etat va effectuer la compensation promise aux employeurs », qui assureront le versement des salaires aux apprentis. L’organisation patronale, qui s’est par ailleurs fermement opposée à la surtaxation des CDD annoncée par Manuel Valls, voudrait savoir à « quelle sauce elle sera mangée ».
A l’inverse, l’Association nationale des apprentis de France (ANAF) juge que la revalorisation « va dans le bon sens », même si elle intervient trop tardivement. Son directeur général, Francis Enguélé, indique avoir déjà proposé au gouvernement des idées de bonnes pratiques pour diminuer les ruptures des contrats d’apprentissage.
Du côté des conseils régionaux, François Bonneau salue « les décisions qui facilitent la vie des apprentis et l’attractivité de l’apprentissage ». Selon lui, ces mesures sont à analyser dans un contexte global : « On constate que le gouvernement crée des postes dans l’éducation nationale, qu’il met des moyens sur l’apprentissage et un effort de 1 milliard d’euros sur la formation des demandeurs d’emploi. Quant aux entreprises, elles ont été aidées à la rentrée 2015, aujourd’hui c’est au tour des apprentis. C’est du gagnant-gagnant », assure-t-il.
Création d’un droit universel à la garantie locative
55 % : c’est le pourcentage moyen du budget d’un étudiant absorbé par le logement, selon une étude de l’Observatoire des loyers en agglomération parisienne. Pour aider les moins de 30 ans à s’installer, est créé un « Droit universel à la garantie locative ». La mesure coûterait 100 millions par an et pourrait concerner 300 000 jeunes, selon le gouvernement, mais elle n’est pas nouvelle.
Le principe est le même que pour la Caution locative étudiante, testée puis adoptée en 2013 : ceux qui disposent de revenus suffisants pour envisager un loyer mais sans caution familiale, amicale ou bancaire, peuvent se retourner vers le Crous pour obtenir une caution. Le nouveau dispositif concerne, lui, un public plus large, et prévoit que la garantie financière soit apportée par Action logement (anciennement 1 % logement), qui se garde de tout commentaire suite à l’annonce du gouvernement.
Sur le terrain, les acteurs doutent de l’efficacité de la mesure : « Le Droit universel à la garantie locative est un droit universel à payer un loyer cher, prévoit Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de Droit au logement. La garantie est pour le bailleur qui n’hésitera pas à augmenter ses prix. C’est une mesure inflationniste », estime-t-il.
L’analyse des professionnels de la location étudiante n’est pas éloignée : dans les zones particulièrement tendues, « le problème n’est pas la caution, mais de trouver un logement à un prix compatible avec un revenu étudiant », observe Cécile Masson, responsable de l’association d’Aide au logement étudiant CEP Entraide étudiant. Qui souligne que la Caution locative étudiante n’a pas beaucoup trouvé preneur. Sur 700 logements loués pas ses services en 2015, seulement deux ont fait l’objet d’une garantie locative du Crous.
Aides à la poursuite d’étude après un bac professionnel ou technologique
Les annonces gouvernementales en la matière se suivent et se ressemblent depuis plusieurs mois. En filigrane la question, récurrente, du faible pourcentage de bacheliers professionnels dans les sections de technicien supérieur (préparant au BTS) et de bacheliers technologiques en IUT, alors que ces filières ont été conçues pour eux.
Dans le sillage de la loi Fioraso de juillet 2013 qui avait instauré des « quotas », jamais formellement appliqués, Manuel Valls a annoncé vouloir « poursuivre et amplifier » le processus, en « fixant un nombre minimal de bacheliers technologiques devant être accueillis dans chaque IUT ». Où aller chercher ces bacs techno ? Cette formalisation des quotas, évoquée depuis plusieurs mois et accueillie sans enthousiasme dans les IUT, suffira-t-elle à créer des vocations parmi les bacs techno - si elle se concrétise ?
La question se pose dans la mesure où, comme l’expliquait au Monde, il y a quelques semaines, le président de l’Assemblée des directeurs d’IUT (ADIUT), Bernard Lickel, « il y a un problème de vivier : seul un quart d’entre eux postulent en IUT, et ceux qui le font ne sont pas toujours ceux qui ont le profil le plus adapté ».
Concernant les BTS, le gouvernement annonce un « plan pluriannuel de création de 2 000 places de STS par an pendant cinq ans », et ce « en particulier dans les spécialités en lien avec les métiers d’avenir ». Sans préciser quels sont ces métiers d’avenir ni si ces places seront « fléchées » vers les élèves de bacs pro.
Christian Lerminiaux, directeur de Chimie ParisTech et auteur d’un récent rapport sur la poursuite d’étude des bacs pro, souligne un engagement « non négligeable » du gouvernement, mais « sans doute pas encore à la mesure du problème ». En particulier sur les chantiers de la « revalorisation de la filière professionnelle auprès des collégiens » ainsi que sur celui des « pratiques pédagogiques » en BTS, qui doivent être « adaptables aux différents publics ». Même si le gouvernement « est à un an d’une échéance électorale (…), il ne faut pas oublier les problèmes et chantiers de fond », ajoute-t-il.