OLIVIER BONHOMME

C’est l’histoire d’un jeune homme qui passe un entretien d’embauche. Tout se passe très bien. « Au fait, possédez-vous un compte Facebook  ? », lui demande-t-on à la fin. « Bien sûr  ! », répond-il avec enthousiasme. Le recruteur tourne alors l’ordinateur portable ouvert devant lui  : le candidat découvre à l’écran un compte à son nom orné de la photo d’un homme de dos, totalement nu. « C’était bien son nom, raconte François Cousin, consultant en gestion de carrières à l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), mais ce n’était pas son compte  ! C’était celui d’un homonyme. »

L’anecdote illustre parfaitement les redoutables défis associés à l’identité numérique. Tout le monde a entendu parler de l’effet dévastateur que peut avoir une photo prise dans le vif de l’ivresse et publiée sur un réseau social. « C’est marrant de te voir dans cet état… », glisse, un rien narquois, le manager au stagiaire, qui pique un fard. Et que dire des photos d’un week-end en bord de mer, alors que vous aviez demandé quelques jours pour enterrer votre grand-mère…

Comment vivre en harmonie avec son moi électronique  ? Un(e) jeune diplômé(e) qui fait ses premiers pas sur le marché du travail doit-il fermer son compte Facebook ou Twitter  ? Doit-il disposer d’un profil LinkedIn  ? Comment peut-il maîtriser son e-réputation  ?

Une visibilité décisive

L’enjeu est tel que beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur mettent en place une formation spécifique. « On a introduit ce thème au programme obligatoire cette année, quand on s’est rendu compte que les étudiants mettaient n’importe quoi sur eux n’importe où, explique Isabelle Clary, directrice de Sup’Internet, école du groupe Ionis spécialisée dans les métiers du Web. Car la gestion de son image est très importante. »

Comme dans bon nombre de domaines de la vie quotidienne, les outils numériques ont pris beaucoup de place dans les ressources humaines et l’insertion professionnelle. « Aujourd’hui, note Sabine Lepez, directrice de l’orientation et de l’insertion professionnelle à l’université de ­Cergy-Pontoise, 90 % des recruteurs utilisent les réseaux sociaux professionnels pour le sourcing [c’est-à-dire l’identification] de leurs cadres. Sept recruteurs sur dix googlisent le candidat avant un entretien. »

En formation, François Cousin met en garde ses jeunes diplômés  : « Quand je tape votre nom sur Google, qu’est-ce qui se passe  ? Parfois, il y en a un qui me répond  : Super, il ne se passe rien  ! Mais un recruteur en phase de présélection veut trouver des informations. S’il n’en trouve aucune, il reste sur sa faim. Donc, le côté autruche – je ne vais pas sur les réseaux sociaux car ça me fait peur –, c’est risqué… »

« LinkedIn, c’est l’outil marketing de l’étudiant. C’est le réseau qui permet de mettre en avant sa propre marque »

La plupart des étudiants sont sur Facebook, beaucoup utilisent Twitter. « On n’a pas besoin de leur demander de s’y inscrire, constate Isabelle Clary. En revanche, on leur demande de se mettre sur Linked­In en faisant un effort sur la présentation. » En quelques années, le réseau social professionnel américain s’est imposé. Beaucoup d’établissements, comme l’Edhec ou Grenoble école de mana­ge­ment, par exemple, encouragent leurs étudiants à s’y inscrire. Ils y voient d’ailleurs aussi leur propre intérêt, tant la visibilité sur Linked­In est devenue décisive pour tout un chacun. «  LinkedIn, c’est l’outil marketing de l’étudiant, relève Anne Zuccarelli, directrice « entreprises et carrières » à l’Edhec. C’est le réseau qui permet de mettre en avant sa propre marque. »

Afficher un profil professionnel parfait

L’école de commerce propose à cette fin de nombreux ateliers avec des outils tels que « Construire un profil Linked­In parfait en sept étapes  ». Les élèves apprennent à utiliser les bons mots-clés pour être correctement identifiés par les recruteurs. Ils découvrent comment développer son propre réseau à travers les réseaux sociaux, comment entrer en contact avec quelqu’un de la manière la plus efficace possible. Ils apprennent aussi que, sur ­LinkedIn, «  vous ne devez pas mentir, précise Mme  Zuccarelli. Car il est très facile d’être confondu. Et ça peut partir très vite »… 

Il est d’autant plus important d’afficher un profil professionnel parfait, qui peut servir de paravent commode pour cacher des horreurs. « Il faut se dire comme je serai googlisé, autant que ce qui apparaît en premier soit mon ­profil LinkedIn ou Viadeo avec un projet professionnel clair et cohérent avec mon CV” », pointe ­François Cousin. Il faut tester ce que le recruteur potentiel verra en premier dans les résultats de sa recherche Google, appuie Sabine Lepez  : « Surtout qu’il ne va probablement pas perdre son temps à éplucher dix pages de résultats… »

« On les met en garde sur la gestion de ce qu’ils publient. Mais, à 20 ou 22  ans, ils sont souvent sensibilisés et font la part des choses entre la vie privée et la vie publique »

Pour plus de précaution, faut-il fermer son compte Twitter, barricader sa page sur Facebook  ? « On n’a pas à leur dire ce qu’ils doivent faire, considère Sabine Lepez. On leur donne des faits sur la manière dont le marché de l’emploi fonctionne, et ils décident.  » A l’Edhec, « on les met en garde sur la gestion de ce qu’ils publient, explique Anne Zuccarelli . Qu’est-ce que je mets en ligne  ? Qui y a accès  ? Mais, à 20 ou 22 ans, ils sont souvent sensibilisés et font la part des choses entre la vie privée et la vie publique.  »

Quant à François Cousin, il conseille le pseudo. Mais « il ne faut pas tomber dans la parano, non plus, tempère-t-il. Les recruteurs cherchent des informations professionnelles, ce ne sont pas des pervers  ! Finalement, il suffit de connaître quelques règles  : la vie privée reste privée, et je reste maître de mon e-réputation. » Ce qui implique aussi bien de faire attention à ce que l’on dit de soi qu’à s’intéresser à ce que les autres disent de soi.