François Pinault va ouvrir un nouveau musée d’art à Paris
François Pinault va ouvrir un nouveau musée d’art à Paris
Par Harry Bellet
Anne Hidalgo a annoncé, mercredi, l’installation de la collection d’art de l’homme d’affaires dans la Bourse de commerce près des Halles avant fin 2018.
L'homme d'affaires François Pinault au Palazzo Grassi, à Venise en avril 2016. | TIZIANA FABI/AFP
Evariste-Vital Luminais, immortel auteur des Enervés de Jumièges, tableau qui représente deux hommes allongés sur un radeau flottant sur la Seine, entre – provisoirement, mais pour 50 ans renouvelables – dans la collection de François Pinault : la maire de Paris Anne Hidalgo et l’homme d’affaire ont en effet annoncé, mercredi 27 avril, l’implantation de la fondation Pinault à la Bourse de commerce, un bâtiment circulaire construit au XVIIIe siècle rue Viarmes, dans le 1er arrondissement, où notre peintre a aussi œuvré.
A l’origine Halle aux blés, il fut transformé au XIXe siècle après un incendie et attribué à la Chambre de commerce. Trois sculptures allégoriques au fronton, œuvres d’Aristide Croisy, représentent la ville de Paris, entourée de l’Abondance et du Commerce. Anne Hildago ne s’y est pas trompée, qui espère que « ce nouveau musée, qui devrait ouvrir fin 2018, contribuera à la revitalisation du quartier des Halles et à l’attractivité internationale de Paris ». On peut aussi y voir des fresques évoquant les échanges entre les cinq continents : on doit à Evariste-Vital Luminais, donc, la représentation de l’Amérique (avec Indiens, cow-boys et loco à vapeur), à Georges Clairin celle de l’Asie et de l’Afrique, et à Hippolyte Lucas celle de l’Europe. Ces décors sont classés monuments historiques, ainsi que la coupole.
A l’Ouest des Halles
L’information avait fuité il y a quelques semaines, dans le quotidien Les Echos, sans être alors confirmée, ni par la Ville, ni par l’entourage de François Pinault. Elle arrivait après de nombreuses rumeurs, et à un article du quotidien La Croix qui évoquait déjà en 2015 des contacts entre les deux parties, à la suite de l’appel à projet lancé en 2014 par la Ville pour animer 23 sites de la capitale. L’article, qui citait trois autres lieux, s’était attiré un démenti de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture devenu conseiller de François Pinault, qui confirmait toutefois l’intérêt manifesté par son patron d’une implantation à Paris d’une antenne de ses fondations vénitiennes, le Palazzo Grassi avec son « Teatrino », et la Pointe de la Douane.
Donc, après la Douane, le Commerce : le bâtiment est idéalement situé, à l’ouest des Halles dont le chantier s’achève et non loin de la poste centrale du Louvre, également en cours de réhabilitation, proche également du Musée du Louvre, et pas très éloigné du Centre Pompidou. Pour François Pinault, c’est essentiel, ainsi qu’il l’écrivait en justifiant son abandon du projet de l’île Seguin : « Un voisinage de qualité et des accès performants sont des préalables indispensables à l’attrait de tout lieu culturel. J’avais d’ailleurs fait de l’environnement urbain du musée l’une des conditions sine qua non au lancement de mon projet. »
Jean-Jacques Aillagon le confirme : « On a envisagé des lieux en province. En Bretagne notamment, mais il a bien conscience que la France est un pays très centralisé, et que c’est à Paris que se concentre une bonne partie du public. Nous avons visité plusieurs sites, mais il avait le sentiment qu’il fallait être comme à Venise : il y est au cœur de la ville, au milieu du Grand Canal. En l’occurrence, la Bourse de commerce, c’est l’hyper-centre : on est dans le 1er arrondissement. En dessous, il y a le principal carrefour de voies de communications de la région parisienne. »
13 000 m2, dont 4 000 m2 de surface d’exposition
L’endroit est vaste, environ 13 000 m2, dont 4 000 m2 de surface d’exposition prévus, à comparer aux 2 500 m2 du Palazzo Grassi, et aux 3 000 m2 de la Pointe de la Douane. Ce sera donc la plus grande des fondations Pinault, mais les coûts d’entretien en sont élevés et le bâtiment nécessite d’importants travaux pour une mise aux normes d’accueil du public. Le montant en est estimé, pour l’instant, à 100 millions d’euros, qui seront à la charge de François Pinault.
C’est sans doute ce qui a incité la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, propriétaire des lieux depuis 1949, à rétrocéder l’immeuble à la Ville, qui a son tour le loue pour cinquante ans renouvelables, non pas à la fondation, mais à la holding familiale. Jean-Jacques Aillagon précise : « Il a tenu a y associer sa femme, ses deux fils et sa fille, de façon à ce que cette aventure continue au-delà de lui-même. De façon à rendre ces projets pérennes. Il est né en 1936, il a un désir parfait de vivre, mais il sait aussi que tout a un terme. Cinquante ans renouvelables, c’est la bonne mesure pour deux générations. Désormais, c’est une affaire de famille. »
Laquelle a accepté la perspective de financer un prévisible déficit d’exploitation, mais aussi un loyer. Si le projet est validé après délibération du Conseil de Paris, lequel se réunira en juillet, il devrait, selon de bonnes sources, être de 15 millions d’euros par an les deux premières années. Prenant en compte les coûts précédents, il passerait ensuite à un niveau « récognitif » bien plus bas, qui sera estimé en fonction du coût réel des travaux, plus une redevance de 6 % du chiffre d’affaires global.
Après la délibération du conseil de Paris, les choses devraient aller très vite, avec le déménagement de la Chambre de commerce et d’industrie et le dépôt d’un permis de construire. Jean-Jacques Aillagon estime que « le chantier devrait pouvoir commencer au mois de janvier 2017 », et s’est fixé l’objectif de l’achever avant la fin 2018, avec une première exposition à l’automne de cette année-là. « Cela peut sembler rapide, mais tous nos chantiers à Venise ont été conduits à ce rythme », souligne-t-il.
Quatre architectes
Pas moins de quatre architectes vont intervenir sur le projet, a annoncé François Pinault lors de la conférence de presse : « Tadao Ando, universellement reconnu, qui a pris en charge toutes mes initiatives vénitiennes et pour qui j’ai amitié et admiration ; un architecte en chef des monuments historiques, Pierre-Antoine Gatier, l’immeuble bénéficiant de protections au titre des monuments historiques ; deux jeunes architectes français, Lucie Niney et Thibault Marca, créateurs de l’agence NeM, dont j’ai apprécié le talent à Lens où je leur ai confié la réalisation de la résidence d’artistes que nous avons inaugurée en 2015 ; et enfin le groupe Setec qui assurera le volet technique. »
Martin Bethenod, qui dirige les fondations vénitiennes, assumera également la charge de la parisienne. Il assurera, a précisé François Pinault, « une programmation pluridisciplinaire, avec de nombreuses expériences à la croisée des arts plastiques, de la musique, du théâtre, de la littérature et du cinéma. C’est la raison pour laquelle je veillerai à ce que le bâtiment dispose d’un auditorium de grande qualité ». Au terme de la concession, l’ensemble reviendra à la Ville. François Pinault, qui voit loin (il aura alors 130 ans…) précise toutefois : « La ville de Paris souhaitera peut-être, avec mes héritiers, continuer l’aventure. J’en forme en tout cas le vœu. »
Il n’avait pas échappé à Bertrand Delanoe et à sa première adjointe d’alors, Anne Hidalgo, que, dans sa lettre publiée par Le Monde où il annonçait sa décision de renoncer à l’île Seguin, François Pinault avait laissé entendre que Venise n’était qu’une étape : « Après Venise, je souhaiterais pouvoir associer d’autres villes, en Europe et, je l’espère, en France, essayant ainsi de constituer un réseau international dans lequel circuleront les œuvres, les propositions, les idées, les regards », avait-il écrit. Tous deux lui avaient fait savoir que s’il voulait revenir à Paris, ils seraient à ses cotés pour réfléchir à la meilleure solution possible. Dix ans après, c’est fait.
Anne Hidalgo, dont tous les acteurs du dossier assurent qu’elle a fait preuve d’une détermination sans faille, dit accueillir ce projet « avec enthousiasme, assurée que la présence à Paris de l’une des plus grandes collections d’art contemporain du monde contribuera au dynamisme et au rayonnement international de la capitale ». Fluctuat nec mergitur : comme les Enervés de Jumièges.