La mystérieuse société offshore de Michel Platini
« Panama papers » : la mystérieuse société offshore de Michel Platini
Par Rémi Dupré, Yann Bouchez
A l’instar de plusieurs anciens dirigeants de la FIFA, dont son ex-numéro 2 Jérôme Valcke, le nom du président suspendu de l’UEFA figure dans la base de données de Mossack Fonseca.
Michel Platini à Monaco le 28 août 2015. | Eric Gaillard/Reuters
Outre l’Uruguayen Eugenio Figueredo, arrêté par la police zurichoise le 27 mai 2015 et inculpé par la justice américaine pour « corruption, racket et blanchiment d’argent », un autre ancien vice-président de la Fédération internationale de football (FIFA), et non des moindres, apparaît dans l’immense base de données de la société fiduciaire Mossack Fonseca au Panama : le Français Michel Platini, dirigeant suspendu de l’Union des associations européennes de football (UEFA).
Les « Panama papers » en trois points
- Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
- Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
- Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
Une société offshore créée moins d’un an après son élection à la présidence de l’UEFA
L’ex-numéro dix des Bleus s’est ainsi appuyé sur les avocats de Mossack Fonseca pour administrer Balney Enterprises Corp., une société offshore créée au Panama le 6 décembre 2007. Il s’est ainsi vu remettre un « pouvoir général et permanent », le 27 décembre 2007 – onze mois après son élection à la présidence de l’UEFA.
Balney Enterprises Corp. est toujours active et répertoriée au registre du commerce panaméen. Elle détient un compte à la banque suisse Baring Brothers Sturdza SA, rebaptisée en janvier Eric Sturdza et sise à Genève. A quoi sert Balney, créée à l’initiative de cette banque, et chapeautée par cinq directeurs, manifestement des prête-noms ? Pourquoi Michel Platini, 60 ans, a-t-il procuration pour cette mystérieuse société ? Peu enclin à lever le voile sur ce dossier, l’ex-capitaine de l’équipe de France n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Il assure en privé que ses « affaires sont tout à fait légales ».
« Je réside en Suisse depuis 2007, tous mes comptes, toutes mes participations et comptes bancaires sont connus des autorités suisses, je n’ai pas d’autres choses à ajouter, a-t-il fait répondre par son communicant Jean-Christophe Alquier. S’ils veulent des informations sur cette société, qu’ils interrogent ma banque. » Contactée, la banque Eric Sturdza n’a pu « répondre » aux questions sur ce « dossier très sensible ».
L’avocat du triple Ballon d’or n’est pas mieux renseigné. « Je ne suis pas du tout en relation avec Michel Platini sur ce sujet-là, dont j’ignore les tenants et les aboutissants. Très honnêtement, je ne connaissais même pas le nom de cette société, assure au Monde Me Thibaud d’Alès. Il faut rappeler que Michel Platini est résident suisse. »
L’avocat, membre du prestigieux cabinet Clifford Chance, assistera Michel Platini début mai à l’audience devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), à Lausanne. L’ancien capitaine des Bleus y jouera sa survie politique à la tête de l’UEFA et espère être blanchi avant l’ouverture, le 10 juin, de l’Euro 2016 en France. Michel Platini a saisi le TAS afin de faire appel de sa suspension de six ans, prononcée le 24 février par la commission des recours de la FIFA. Eu égard aux « services rendus au football » par l’ex-numéro 10, ladite commission avait allégé de deux ans la sanction infligée, le 21 décembre 2015, par le comité d’éthique de la Fédération internationale.
Comme son ancien ami Joseph Blatter, l’ancien président de la FIFA (1998-2016), Michel Platini avait été initialement suspendu pour huit ans pour « abus de position », « gestion déloyale » et « conflit d’intérêts », à la suite du versement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) accordés, en février 2011, par « Sepp » Blatter. Prétendument pour des travaux lorsqu’il officiait (entre janvier 1999 et juin 2002) comme conseiller du patron du foot mondial. Selon le comité d’éthique, ce paiement a été effectué « sans base légale dans le contrat signé dans les deux parties le 25 août 1999. »
Jérôme Valcke, propriétaire d’un yacht via une société offshore
Compatriote de Michel Platini, Jérôme Valcke apparaît aussi dans les dossiers de Mossack Fonseca. L’ancien secrétaire général de la FIFA (2007-2015) a ainsi été l’unique actionnaire d’une société offshore, Umbelina SA, domiciliée aux îles Vierges britanniques. Elle a été créée en juillet 2013 pour acheter le « Jade Mary », un yacht enregistré aux îles Caïman et rebaptisé « Ornella » lors de sa rénovation en 2014. Le prix du bateau est estimé à 2,8 millions de dollars. Mossack Fonseca a officiellement mis un terme à son mandat d’intermédiaire auprès d’Umbelina le 18 septembre 2015. Au lendemain de la mise à pied de Jérôme Valcke, mis en cause dans une affaire de revente de billets lors du Mondial 2014.
« Le bateau que j’ai acquis d’occasion était sous pavillon des îles Vierges et je l’ai donc laissé ainsi, explique Jérôme Valcke dans un e-mail envoyé au Monde. La société n’existe plus et n’a jamais eu de fonds propres, n’a jamais détenu de compte bancaire et n’a jamais eu d’activité commerciale. Me prenez-vous vraiment pour un truand ? Ce bateau est tout ce qu’il y a de plus légal, déclaré dans le cadre de biens que je possède. »
En février, l’ex-bras droit de Sepp Blatter a été suspendu douze ans par le comité d’éthique de la FIFA pour avoir enfreint sept chapitres du code d’éthique. Il est notamment poursuivi pour « conflit d’intérêts » et pour avoir « offert et accepté des dons et d’autres bénéfices. » Il a touché un salaire de 2,12 millions de dollars (1,87 million d’euros) en 2015 et été inculpé le 17 mars par la justice suisse. Le parquet helvétique a ouvert une procédure pénale pour « soupçons de gestion déloyale multiple et d’autres délits ».
Michel Platini renvoie vers « l’administration fiscale suisse »
Le président suspendu de l’UEFA a adressé dans la soirée de dimanche 3 avril un communiqué après les révélations des « Panama Papers ».
« Suite aux informations diffusées, Michel Platini tient à faire savoir, comme il l’a indiqué à maintes reprises aux journalistes en charge de cette enquête, que l’intégralité de ses comptes et avoirs sont connus de l’administration fiscale suisse, pays dont il est résident fiscal depuis 2007. »
Le texte précise par ailleurs que l’ancien meneur de jeu français « réserve tous ses droits quant à d’éventuelles fausses informations, allégations ou propos diffamatoires qui seraient publiés dans le cadre de ce travail journalistique ».
Lionel Messi et sa société panaméenne
Lionel Messi, l’Argentin quintuple ballon d’or, empêtré depuis plusieurs années dans ses déboires avec le fisc, doit être jugé avec Jorge, son père, à partir du 31 mai à Barcelone, pour une fraude fiscale s’élevant à 4,16 millions d’euros sur la période 2007-2009. La justice lui reproche de ne pas avoir déclaré des revenus liés aux droits à l’image, payés par des sociétés-écrans au Belize et en Uruguay. Depuis, le joueur a remboursé l’argent qu’il devait au fisc sur la période 2007-2009, et jure n’avoir jamais voulu frauder.
Les « Panama papers » révèlent toutefois que la star argentine et son père sont devenus, le 23 juin 2013, les bénéficiaires économiques de Mega Star Enterprises, une société domiciliée au Panama et créée par Mossack Fonseca, à peine plus de dix jours après la plainte de la justice espagnole pour fraude fiscale. En décembre 2015, Jorge Messi en est devenu l’actionnaire unique et refuse de s’exprimer sur la question.