Cœur historique du Marais à Paris, la place des Vosges va voir un authentique champ de lin fleurir, dès la fin mai. A l’occasion des D’Days, événement qui célèbre la créativité française en matière d’objet, cette fibre ancestrale sera mise à l’honneur par Philippe Nigro. Le designer va initier les Parisiens aux usages contemporains de cet or bleu qui pousse depuis toujours, sans arrosage et sans OGM, sur une bande côtière qui s’étire de la Normandie aux Pays-Bas. Parmi les objets présentés, des draps bien sûr, mais aussi, plus surprenant, une chaise et un casque de vélo réalisés en composite de lin.

Ces pièces – extrêmement solides, esthétiques et contemporaines – illustrent parfaitement les nouveaux usages qui puisent dans des composants très anciens. Après le cuivre, le laiton et le bronze, les créateurs ressuscitent en effet des éléments et des techniques millénaires qui étaient passés de mode.

Des armures en lin et argile

Les fibres, le lin en tête, sont les égéries de cette quête qui, selon la chasseuse de tendances Li Edelkoort, passionnée de matériaux, « s’inscrit dans la tendance du végétalisme, de notre goût pour la plante et le légume. Il s’agit d’une exploration anthropologique, c’est-à-dire poussée par les consommateurs et non par le marketing ». La rigidité du lin et sa faculté à absorber les chocs avaient déjà retenu l’attention d’Alexandre le Grand dont les guerriers abandonnèrent leurs armures en métal au profit de protections en lin et argile.

Une table basse végétale créée par Noé Duchaufour-Lawrance pour l'éditeur de mobilier SaintLuc. | SaintLuc

Il y a une dizaine d’années, les industries aéronautique et automobile qui cherchaient de nouveaux alliages légers ont redécouvert ses qualités. « Je travaillais chez un équipementier spécialisé dans la fibre de verre et de carbone quand j’ai vu arriver des matériaux composites en végétaux, se souvient Frédéric Morand, fondateur de l’éditeur de mobilier SaintLuc. J’ai eu envie d’étendre leur champ d’application ». Associée à une résine, la fibre de lin devient alors très résistante, ce qui a permis à l’entrepreneur de dévoiler, il y a cinq ans, une table basse de Noé Duchaufour-Lawrance et un large fauteuil confortable de Jean-Marie Massaud. A son tour, Jean-Michel Wilmotte livrera une assise en collaboration avec Frédéric Morand qui met un point d’honneur à toujours laisser le lin visible.

L’or végétal

« Ces textures sont souvent mises en valeur car elles sont associées à l’authenticité, clé de voûte de la consommation contemporaine, surtout dans l’univers de la maison, qui est notre refuge face à la cruauté du monde », note Li Edelkoort. C’est le cas du Marmoreal, un revêtement fait de marbre coloré et de résine inventé l’année dernière par Max Lamb pour Dzek, un jeune studio de création.

Le Marmoreal, inventé par Max Lamb. | Angela Moore

Descendant du terrazzo, mis de côté depuis quelques décennies, ce nouveau matériau laisse apparaître des milliers de gros éclats de marbre en les sublimant au lieu de les noyer dans la masse. Guto Requena, qui travaille avec la Gallery Bensimon, a lui ennobli l’or végétal, une herbe dorée du nord du Brésil où elle était tressée par les communautés avant que le plastique ne vienne envahir les villages. Le designer brésilien l’intègre dans les structures en acier ajourées de ses fauteuils, tables basses ou lampes, les découpes au laser faisant apparaître l’éclat de la plante.

Nouveaux débouchés pour le lait

D’autres projets sont plus prospectifs. Samy Rio, qui veut remettre au goût du jour le bambou, une ressource renouvelable et recyclable, s’attache avec des prototypes de sèche-cheveux ou d’enceintes, à faire sentir aux industriels le potentiel de ce bois disponible en grande quantité. Marlène Huissoud, fille d’apiculteurs, a créé From Insects, une ligne de vases et d’objets réalisés à partir de matières issues d’insectes, comme par exemple la résine d’abeille, dont les Egyptiens se servaient pour embaumer les corps et que la créatrice a eu l’idée de souffler comme du verre.

Un prototype d'enceintes Bluetooth en bambou par Samy Rio. | Samy Rio

En France, la crise de la filière laitière a inspiré les créateurs, qui lui ont trouvé de nouveaux débouchés. A l’occasion de l’événement du Milk Lab 2015, les designers Elium Studio et Stéphane Bureaux ont développé des objets en caséine durcie, ou galalithe, un matériau très à la mode au début du siècle dernier et fabriqué à base de lait. Un champ exploré par Laetitia Sévérac qui concocte en ce moment un « plastique de lait » mélangé à de la résine.

Expérimentales ou déjà industrialisées, alliant high-tech et matière organique, ces recherches questionnent en creux l’omniprésence du pétrole, dont les années sont désormais comptées.

Elium Studio et Stéphane Bureaux ont conçu de la vaisselle soluble dans l'eau, constituée d’une matière plastique issue du lait. | Elium Studio

D’days. Du 30 mai au 5 juin, dans 70 lieux parisiens. www.ddays.net