La « loi travail » expliquée en patates
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Cible d’une mobilisation sociale depuis plus de deux mois, le projet de « loi travail » est examiné par l’Assemblée nationale à partir du mardi 3 mai.

Le texte proposé aux députés en séance est très différent de celui qu’avait présenté la ministre du travail, Myriam El Khomri, en février. Face aux vives critiques des syndicats et organisations lycéennes et étudiantes, le gouvernement a d’abord revu sa copie en mars avant que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale modifie à son tour plusieurs dispositions importantes du projet de loi.

Ce qui a été supprimé

  • Les 61 « principes essentiels » du droit du travail retenus par la commission Badinter, tels que celui sur l’égalité hommes-femmes ou celui, controversé, sur la liberté de manifester ses convictions religieuses. Ce dernier prévoyait que « la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses », ne pouvait être restreinte que « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Cette mesure avait été vivement critiquée par la droite et l’extrême droite, qui y voyaient un risque d’intrusion du communautarisme dans l’entreprise.
  • L’article prévoyant de nouvelles règles pour mesurer la représentativité patronale. Selon les députés, il évinçait les représentants de l’artisanat. Les organisations d’employeurs sont appelées à s’accorder sur ce point d’ici aux débats en séance.

Ce qui a été modifié

  • Adoption d’un régime spécifique pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) en matière de licenciement économique : les députés ont voté un amendement clé du rapporteur sur les critères des licenciements économiques qui instaure une différenciation selon la taille des entreprises. Ainsi, une société employant moins de onze personnes pourra se séparer d’un ou plusieurs de ses salariés si elle est confrontée à une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires au moins égale à un trimestre. Le seuil est porté à deux trimestres consécutifs pour les entreprises de 11 à 49 personnes, à trois trimestres consécutifs pour celles qui comptent de 50 à 299 personnes et à quatre trimestres consécutifs pour les autres. D’autres critères pourront être invoqués par l’employeur, tels que « des pertes d’exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ». Cette disposition pourrait toutefois être retoquée par le Conseil constitutionnel.
  • Confirmation des onze heures consécutives de repos quotidien pour tout salarié. La commission a adopté un amendement des écologistes qui restreint des dérogations à ce droit au repos. Toutefois, des accords collectifs prévoyant par exemple de fractionner ce temps de repos resteront possibles.
  • Possibilité pour les salariés de prendre leurs congés « dès leur embauche », en assouplissant les effets de la période de référence.
  • Allongement à cinq jours (contre deux) de la durée du congé exceptionnel en cas de décès d’un enfant.
  • Allongement de 4 à 10 semaines de la période d’interdiction du licenciement pour les mères de retour de congé maternité.
  • Lorsqu’un accord est conclu dans une entreprise pour développer l’emploi, le salarié qui refuse les modifications apportées à son contrat de travail (du fait de ce « deal ») sera congédié en vertu d’un motif économique et non pas d’un motif personnel. Des mesures d’accompagnement en faveur des personnes licenciées pourraient être ajoutées lors des débats à l’Assemblée.
  • Le compte personnel d’activité (CPA), qui doit regrouper à partir de 2017 le compte personnel de formation, le compte pénibilité et un nouveau « compte d’engagement citoyen » a été ouvert aux retraités et ne sera fermé qu’au décès de la personne. Une concertation sera engagée avant le 1er octobre 2016 sur les autres dispositifs pouvant être intégrés dans le CPA avec le patronat et les syndicats.
  • Entrée en vigueur au 1er janvier 2017, et non plus au 1er janvier 2018, du droit à la déconnexion. Une charte liée à l’usage des outils numériques devra être établie dans les entreprises d’au moins 50 salariés (contre 300 dans la version précédente du texte).
  • Nouveaux droits (assurance, formation, grève, possibilité de constituer un syndicat, formation professionnelle, etc.) pour les travailleurs recourant, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à des plates-formes de mise en relation par voie électronique (par exemple Uber).
  • La disposition prévoyant qu’un accord d’entreprise devra être « majoritaire » (signé par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés aux élections professionnelles) et que, faute de majorité, les syndicats minoritaires (représentant plus de 30 %) pourront demander un référendum pour valider l’accord a été précisée : les syndicats auront un mois pour faire une telle demande et le référendum se fera dans un délai maximal de deux mois.
  • Création d’une commission paritaire, d’experts et de praticiens des relations sociales, pour proposer au gouvernement une refondation du code du travail. Elle devra rendre ses travaux dans un délai de deux ans.

Ce qui n’a pas changé

De nombreux points du projet de loi suscitent toujours l’inquiétude des opposants au texte. Ils dénoncent la « philosophie » générale du projet, qui cherche à décentraliser le dialogue social au niveau de l’entreprise. Parmi les principaux sujets de blocage :

  • Sur la question sensible du périmètre d’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise, l’article 30 prévoit toujours que les difficultés d’une entreprise rattachée à un groupe international seront jugées sans tenir compte de la santé des autres filiales du groupe. Un point qui inquiète la gauche, notamment Christophe Sirugue, rapporteur du texte. Celui-ci a indiqué que la réflexion se poursuit et qu’une solution devra être trouvée durant les débats en séance pour qu’« on n’exonère pas le groupe de sa responsabilité ».
  • Les « avantages individuels acquis » que les salariés peuvent conserver sous certaines conditions en cas de cession d’entreprise, de fusion ou de dénonciation d’un accord sont restreints par le projet de loi. L’article 8 ne retient que la notion de « rémunération », ce qui exclut de fait toute référence aux autres avantages comme les jours de congé. Il prévoit également que les accords d’entreprise aient une durée de 5 ans maximum.