Des membres de la campagne "Bring Back Our Girls" posent après un événement marquant le deuxième anniversaire de l'enlèvement des lycéennes de Chibok, lundi 11 avril, à Abuja. | AFOLABI SOTUNDE / REUTERS

C’était il y a tout juste deux ans. Dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, 276 lycéennes de Chibok, ville de l’Etat de Borno (nord-est du Nigeria), étaient brutalement tirées de leur sommeil dans leur dortoir, avant d’être enlevées par les séides du mouvement islamiste Boko Haram. Un rapt massif qui avait ému l’opinion internationale et les grands de ce monde, mobilisés de concert sur les réseaux sociaux dans le cadre d’une vaste campagne baptisée « Bring Back Our Girls » (ramenez-nous nos filles).

Dans une vidéo, que s’est procurée jeudi 14 avril la chaîne américaine CNN, le groupe terroriste a fourni une « preuve de vie ». Sur ce document de moins d’une minute, qui aurait été tourné en décembre 2015, apparaissent quinze jeunes filles qui se contentent de décliner mécaniquement leur nom face à la caméra. Celles-ci ont les cheveux voilés et sont vêtues de longues robes noires, mais aucune trace de mauvais traitements n’apparaît.

Ces images constituent pour les familles, qui ont désespérément tenté d’obtenir des informations auprès des autorités, une première confirmation que les lycéennes sont toujours en vie. Malgré le mutisme du gouvernement, elles n’ont jamais perdu espoir, rapporte Die Welt, précisant cependant que le flou demeure sur la localisation des disparues. Se trouvent-elles toujours dans le Nord-Est, fief originel de Boko Haram depuis 2009, ou hors des frontières du Nigeria ?

Otages réduits au rang d’esclave

La plupart des responsables nigérians et occidentaux pensent qu’elles ont été transportées dans une zone reculée de la forêt de Sambisa, une ancienne réserve animalière du Nord-Est, où elles seraient étroitement surveillées par des hommes en armes, souligne le Washington Post. Des drones survolent même régulièrement la zone dans l’espoir de les repérer, précise le New York Times.

Die Welt rappelle par ailleurs que ces jeunes filles ne forment, hélas, qu’une fraction des milliers de victimes retenues contre leur gré par la secte d’Abubakar Shekau, ralliée depuis mars 2015 à l’autoproclamé Etat islamique. Des otages contraints de passer sous les fourches Caudines de combattants qui les réduisent au rang d’esclave sexuel, de porteur, de nettoyeur ou de « kamikaze ».

D’après des chiffres dévoilés mardi par l’Unicef, le nombre d’enfants utilisés pour perpétrer des attentats-suicides dans la région du lac Tchad aurait d’ailleurs plus que décuplé entre 2014 et 2015, passant de 4 à 44. Parmi eux, plus de 75 % étaient des filles, parfois âgées d’à peine 8 ans, précise l’organisation onusienne. Un signe, selon les experts, du recul de Boko Haram sur le terrain, sous les coups de boutoir répétés de l’armée régulière.

Une tragédie oubliée

Les filles de Chibok reverront-elles un jour leurs parents ? Professeur à l’université d’Ibadan (sud-ouest), Oyesoji Aremu, cité par le quotidien nigérian Vanguard, est dubitatif. Non seulement parce que certains signaux – en particulier la volonté accrue d’endoctrinement des jeunes filles – attestent le contraire, mais aussi parce que les éléments que possèdent les services de renseignement sont parcellaires, pour ne pas dire inexistants.

Pour le New Yorker, le nouveau pouvoir politique, sur lequel les Nigérians fondaient de grands espoirs, court le risque de répéter la même erreur que son prédécesseur : l’attentisme. Il cite, à l’appui de ses dires, l’enlèvement de 400 personnes (dont 300 enfants) à Damasak, près de la frontière avec le Niger, à la fin de 2014 – le plus gros rapt jamais commis dans le pays, mais qu’Abuja a subrepticement mis sous le boisseau, observent le Daily Telegraph et Jeune Afrique.

Dans un éditorial, le quotidien britannique The Guardian déplore le fait que le monde ait détourné le regard face à la tragédie de Chibok, alors que la souffrance, elle, perdure. Et de conclure : « Certes, une prise de conscience mondiale ne peut, en soi, libérer les filles. Mais cela peut – et devrait – sans doute aider. Il est temps de relancer la campagne Bring Back Our Girls. Et de monter le son. »