Nouvelle Vague et nouvelle garde au Festival de Hyères
Nouvelle Vague et nouvelle garde au Festival de Hyères
Par Alice Pfeiffer
La dernière édition du Festival de mode et de photographie a regardé vers les années 1960 pour mieux s’interroger sur la création de demain.
Une création du Japonais Wataru Tominaga, lauréat de l'édition 2016 du Festival de Hyères. | Evangelia Kranioti
Dans un Hyères réputé pour son ensoleillement, la 31e édition du Festival de mode et de photographie de la ville est restée, pendant quatre jours, enveloppée dans une grisaille pluvieuse – ce qui ne s’était produit qu’une seule fois depuis sa création. Le cocktail d’inauguration, jeudi 21 avril, s’est déroulé sous des myriades de parapluies, partagés entre la ministre de la culture, Audrey Azoulay, et le fondateur Jean-Pierre Blanc, les membres du jury et la faune branchée parisienne, tous réunis pour célébrer et récompenser la jeune création.
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Fait plus rare encore pour cette édition, le jury du concours de mode accueillait cette année à sa tête son plus jeune président en date, le styliste de la maison Paco Rabanne, Julien Dossena. Agé de 33 ans, il a souhaité créer des ponts entre des personnalités de générations et d’horizons différents, en choisissant comme jurés le chausseur Pierre Hardy, le musicien électronique Surkin, la photographe encore étudiante de 24 ans Coco Capitan, et la rédactrice de mode au Vogue américain, Nicole Phelps.
Vêtements et questions contemporaines
Cette rencontre s’est aussi faite entre les époques. Aux côtés du photographe William Klein, directeur du jury de la photographie, Julien Dossena a imaginé divers flash-back, au fil du festival : notamment en ravivant le souvenir des années 1960, quand Klein et Paco Rabanne explosaient, sous la forme d’une exposition de pièces de mode anciennes accompagnées de la version revisitée contemporaine, le tout dans un échafaudage citant Qui êtes-vous, Polly Maggoo (Klein, 1966). Ce rapprochement entre Nouvelle Vague et jeune garde a beaucoup plu. « Dans les années 1960, la mode n’était pas tant une industrie isolée qu’une partie vitale et connectée à un tout culturel et social. Tous les champs créatifs parlaient ensemble de leur époque, se battaient pour les mêmes choses », analyse Julien Dossena, tout en soulignant quelques-unes des qualités recherchées cette année chez les candidats : « Des profonds questionnements sur le corps, l’identité, la liberté – la question de la finalité commerciale se posera plus tard. »
Ainsi, des jeunes pousses aux pratiques aussi expérimentales qu’intellos ont déconstruit des questions contemporaines par le biais du vêtement : la technologie et le textile dans un quotidien profondément connecté ; la nature comme échappatoire contre un mode de vie urbain saturé d’information ; le selfie comme forme de pop art, etc., sont apparus comme des sujets centraux dans les collections présentées.
Mode masculine à l’honneur
Après quatre jours de délibération, la remise des prix, le dimanche 25 au soir, a révélé une envie d’excentricité : le Grand Prix est allé au Japonais diplômé de la Central Saint Martins, Wataru Tominaga, pour une collection masculine maximaliste qui détourne des tissus, imprimés et des techniques classiquement féminins, afin de « questionner les limites du vestiaire masculin et de l’homme contemporain », selon les mots du créateur. Il succède donc à Annelie Schubert, grande gagnante de 2015, et recevra la somme de 15 000 euros, ainsi qu’une invitation à travailler avec les ateliers des métiers d’art de Chanel et une autre à dessiner une collection capsule pour Petit Bateau. « La force du graphisme, l’impact visuel très fort, l’audace, l’évidence de son travail qui dépasse les genres masculins et féminins, la dynamique positive soutenue par un travail des matières et la technique du vêtement ont fait l’unanimité », a déclaré le jury. Ce n’est que la troisième fois que ce prix est attribué à une collection masculine, mais cela suit, selon le gagnant, le développement actuel de ce secteur : « C’est un domaine grandissant à vive allure, qui n’a pas la saturation ni l’histoire de la femme : tout reste à faire », a dit le gagnant.
Le prix Chloé – doté de 15 000 euros – et la mention spéciale du jury ont tous deux été attribués à Hanne Jurmu et Anton Vartiainen, un duo finlandais diplômé de l’université Aalto à Helsinki. « Nous avons été séduits par leur vision à la fois bohème, couture et pleine d’humour ; ils savent trouver de la sophistication dans la simplicité, un raffinement imperceptible et poussé – voilà le luxe », a dit Geoffroy de la Bourdonnaye, directeur général de Chloé, au sujet de leur technique mêlant broderie, macramés et grands aplats de fleurs collées, le tout sur des matériaux en grande partie recyclés.
Quant au prix du public, il a été décerné à la Suisse passée par le Royal College of Art, Amanda Svart, dont le travail s’inspire des sculptures abstraites de Barbara Hepworth.
On pourrait se demander quelle est la place d’un festival de jeunes talents qui a su garder sa fraîcheur alors que l’industrie subit elle aussi la crise et fait face à la saturation d’un secteur dominé par les groupes de luxe… « Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le marché n’a jamais été aussi propice aux jeunes marques à la vision singulière. Notre clientèle cherche aujourd’hui à montrer son appartenance et son individualité en arborant une griffe à peine connue », dit Tomoko Ogura, directrice de la mode pour le grand magasin Barney’s à New York et également membre du jury. Ce que la ministre Audrey Azoulay exprime autrement : la mode, tout comme le cinéma, est « à la fois un art et une industrie : d’un côté, un lieu primordial de défi des conventions, et de l’autre un patrimoine, un générateur d’emplois. La jeune création permet le renouvellement de cet écosystème ».