Le 23e teknival, qui s’est tenu ce week-end dans un vaste champ reculé de Salbris, en Loir-et-Cher, était scruté de près. D’abord, par les organisateurs de l’événement, qui accusaient le coup ces dernières années, avec des taux de fréquentation de plus en plus moribonds. Ensuite, par les autorités, qui se sont engagées, à la veille de ce rassemblement, à amorcer une énième négociation autour des lois qui encadrent la tenue des teknivals, qui attirent chaque année les amateurs de techno désireux de battre la campagne dans d’anciens entrepôts ou dans une clairière.

Depuis 2001, les autorités publiques ont imposé aux teufeurs — de « teuf », fête en verlan — des mesures répressives pour encadrer ce genre d’événement, venu d’Angleterre, arrivé en France en 1993. Las des vaines négociations avec le gouvernement, les teknivaliers ont décidé, pour l’édition 2016, de faire un pied de nez aux autorités en ne déclarant pas auprès de la préfecture leur rassemblement, baptisé « Ravelotion » — référence aux raves : « délirer », en anglais —, qui s’est tenu du 29 avril au 2 mai. Une première depuis 2009. Un pari risqué quand on sait que la reprise des discussions avec les autorités était conditionnée à la bonne tenue de l’événement. Au terme de quatre jours de festivités, le pari semble avoir été tenu.

  • Où s’est tenu le teknival ?

Renouant avec les origines clandestines des free parties, littéralement « fêtes libres », les organisateurs ont gardé secret le lieu jusqu’au bout. Dans le convoi interminable de véhicules convergeant vers le site du teknival, seuls les conducteurs en tête savent où il va se dérouler. Les organisateurs ont jeté leur dévolu sur Salbris, en Loir-et-Cher, ou plutôt sur une étendue de plusieurs champs situés à six kilomètres de la ville.

Un terrain de six hectares regroupent les différentes scènes. Jouxtant ce champ, près de trente hectares de terrain font office de parking. Alors que les organisateurs pensaient s’installer sur d’anciens terrains militaires laissés en friche, « ils étaient en réalité campés sur des terrains privés », nous rapporte la préfecture.

« Il s’agit de réserves de chasse, pas de sites agricoles, notre venue n’a donc rien perturbé », estime Samuel Raymond, du collectif Freeform, une association chargée de la médiation avec les autorités publiques. Si les propriétaires du terrain n’ont, pour l’heure, pas porté plainte, deux propriétaires de champs limitrophes ont engagé des poursuites pour atteinte aux biens d’autrui.

Teknival à Salbris : les teufeurs séduits par le retour de « l’illégal »

  • Combien de teknivaliers étaient présents ?

L’événement a bien failli ne regrouper… aucun teknivalier. En apprenant vendredi la préparation du rassemblement, prévue dans le Centre, toutes les préfectures ont déposé les unes après les autres des arrêtés préfectoraux pour éviter la tenue du teknival dans leur département. Anticipant un bras de fer avec les autorités, les organisateurs avaient décidé de miser sur le collectif, en mettant en place des convois de teufeurs.

Dès le vendredi soir, des convois longs pour certains de cinq kilomètres convergent vers le site. Dans la nuit de vendredi à samedi, sept mille teufeurs sont déjà sur place, selon les chiffres de la préfecture. Le pic de fréquentation de treize mille cinq cents teufeurs est atteint, vingt-quatre heures plus tard, dans la nuit de samedi à dimanche, malgré une journée émaillée d’averses torrentielles. Selon les organisateurs, le rassemblement a réuni trente mille teknivaliers durant l’ensemble du teknival, là où l’édition 2015 en avait totalisé dix mille.

  • Quel était le mot d’ordre de la 23e édition ?

Clandestinité et autogestion. C’est en substance les messages que souhaitaient faire passer les organisateurs. Cent cinquante sound systems ont répondu à l’appel de ce teknival illégal, soit une quarantaine de scènes. Le tout sur la base du bénévolat et de la gratuité. L’entrée au site est en effet gratuite, même s’il est courtois de donner quelques pièces aux volontaires qui se relaient jour et nuit pour participer à la logistique. Tous les membres des sound systems doivent, par ailleurs, donner deux heures de leur temps pour aider à l’encadrement de l’événement, soit une manne d’environ cinq cents bénévoles.

Longtemps critiqués pour laisser après leur passage des sites sens dessus dessous, les organisateurs souhaitaient cette fois atteindre l’objectif du « zéro impact », c’est-à-dire du « zéro déchet ». Durant le week-end, les organisateurs ont donc coupé le son une heure par jour pour inciter les teufeurs à nettoyer le site, où très peu de déchets jonchent le sol. Une grande opération de nettoyage, en lien avec la commune de Salbris, doit encore avoir lieu mardi.

30/04/2016 SALBRIS, FRANCE,( Cher ). Un teknivallier se repose dans un abris dédié dans la zone "smusicale" du teknival. | EDOUARD ELIAS POUR "LE MONDE"

Les associations se chargeaient, elles, quand elles le pouvaient, de prendre le relais des services de secours. Durant le week-end, l’association Techno +, qui centre son action sur la réduction des risques liés à la prise de drogue, a pris en charge une petite centaine de personnes. Comme elle, douze autres associations étaient présentes sur le site. « Cela représente quatre-vingt-huit intervenants, venus de Hollande, d’Allemagne, de Belgique, d’Angleterre, d’Espagne, d’Italie ou encore du Portugal », liste Renaud. Les organisateurs espèrent avec ce fonctionnement montrer qu’ils sont en mesure de se passer d’un dispositif de gendarmerie pour encadrer le rassemblement.

  • Quel dispositif de sécurité ?

Des moyens ont toutefois été déployés par les autorités publiques. Au total, une trentaine de pompiers étaient mobilisés, principalement au poste médical, installé à un kilomètre du site, où soixante-treize personnes ont été admises. Treize autres, légèrement blessées, ont été évacuées au centre hospitalier de Blois. « Seul un homme en urgence absolue a été transporté dimanche par hélicoptère à l’hôpital de Blois. Son état est stable », nous informait la préfecture lundi 2 mai.

30/04/2016 SALBRIS, FRANCE,( Loir et Cher ). Les sapeurs pompiers du Loir et Cher patrouillent dans le teknival afin de recceuillir des infoirmations sur d'éventuels problèmes de santé chez les Teknivalliers. | EDOUARD ELIAS POUR "LE MONDE"

Sur l’ensemble du week-end, trois cent cinquante gendarmes, dont certains venus d’autres départements, se sont relayés aux abords du teknival et de la ville de Salbris. Le gros de leur opération se jouait dimanche, alors que de nombreux teknivaliers quittaient le site pour retourner chez eux, potentiellement sous l’emprise de drogue. « Les forces de l’ordre sont présentes à toutes nos fins de teufs, même les plus petites que l’on organise le week-end dans des endroits reculés. Au pire, ils saisissent notre matériel. Au mieux, ils se chargent de contrôler le taux d’alcool et de drogue des teufeurs », commente Alizée, 29 ans, orthoprothésiste en région parisienne.

Alors que trois mille teknivaliers étaient toujours présents sur le site lundi en fin d’après-midi, les contrôles de la gendarmerie, renforcée depuis dimanche, se poursuivaient. « A 16 heures lundi, cent conduites sous l’emprise de stupéfiant et cinq conduites sous l’emprise d’alcool ont été relevées », indique la préfecture, qui maintient son dispositif de sécurité civile jusqu’à mardi. Si tous les sons ont été coupés lundi à 14 heures, les teufeurs peuvent rester sur les lieux jusqu’au lendemain matin, « faute de quoi ils risquent d’être délogés plus violemment », rapporte Samuel Raymond. Les organisateurs, eux, disposent d’un délai pour démonter leur scène et nettoyer le site.

  • Et après ?

La grande inconnue reste de savoir si, comme à l’accoutumée, les autorités procéderont à des saisies de matériel. Dimanche, le parquet de Blois a annoncé des poursuites pour « organisation d’une manifestation festive sans déclaration préalable, infraction susceptible d’entraîner la saisie des systèmes de son ».

29/04/2016 FRANCE ( Loir Cher ). Des teknivalliens bloquent un rond point afin d'e bloquer la circulaton routière en conséquence au blocage par la gendarmerie d'un camion de transportant de materiel sonore. Les discussions aboutiront à la restitution des papiers du véhicule et une permission au convoi de continuer la route pour rejoindre le Teknival. | Edouard Elias pour Le Monde

« Une saisie de matériel serait totalement antinomique avec la démarche d’accompagnement que les forces de l’ordre ont adoptée durant le teknival », juge Samuel Raymond, qui rappelle que les représentants du gouvernement se sont engagés à reprendre des négociations si le teknival se déroulait sans encombre. « Nous avons montré que nous étions coopératifs. Maintenant, c’est à l’Etat de faire ses preuves », lâche Sylvain, de l’association Techno +, qui en est à son 18e teknival. Les associations en lien avec les autorités réclament notamment la fin des saisies abusives, des amendes exorbitantes, des plaintes collectives, des pressions sur les élus qui accepteraient de les accueillir ou encore la possibilité d’occuper des terrains en friche.