Verviers, Paris, Bruxelles : l’empreinte du groupe Abaaoud
Verviers, Paris, Bruxelles : l’empreinte du groupe Abaaoud
Par Soren Seelow, Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
L’enquête sur les attentats du 22 mars à Bruxelles met au jour une seule et même nébuleuse franco-belge active depuis plus d’un an. Deux suspects sont toujours activement recherchés.
Un militaire belge à la gare centrale de Bruxelles, le 23 mars. | VIRGINIE NGUYEN HOANG / HANSLUCAS POUR "LE MONDE"
L’identification des trois kamikazes, qui ont fait au moins trente et un morts et trois cents blessés, selon le ministère de l’intérieur belge, mardi 22 mars, à l’aéroport et dans une station de métro de Bruxelles, confirme les soupçons des services d’enquête : les attentats survenus le 13 novembre 2015 à Paris et, quatre mois plus tard, dans la capitale belge ont été réalisés par une même cellule franco-belge, dont le noyau s’était formé il y a plus d’un an autour de la figure d’Abdelhamid Abaaoud. Ce réseau n’a pas été entièrement neutralisé. Deux suspects étaient toujours activement recherchés, jeudi matin, dans la capitale belge, comme l’a révélé Le Monde dès mercredi soir.
Les trois kamikazes de Bruxelles, tous de nationalité belge, faisaient partie des suspects les plus recherchés dans le cadre de l’enquête sur les attaques du 13 novembre. Les deux premiers ont été identifiés à la mi-journée grâce à leurs empreintes papillaires : il s’agit des frères Ibrahim et Khalid El Bakraoui. Ibrahim s’est fait exploser vers 8 heures du matin à l’aéroport de Zaventem. Agé de 30 ans, il avait été condamné à neuf ans de prison en 2011 pour avoir tiré sur des policiers à la kalachnikov, lors d’un braquage à Bruxelles, et a bénéficié d’une libération conditionnelle, début 2015, contre l’avis de l’administration pénitentiaire. Il aurait été repéré en Turquie en juin.
A l’occasion d’une perquisition, mardi, dans un appartement de la commune bruxelloise de Schaerbeek, où les kamikazes avaient séjourné juste avant les attentats, les policiers ont découvert son « testament », dans un ordinateur abandonné dans une poubelle de rue. Selon le compte-rendu qu’en a fait le procureur fédéral, Ibrahim El Bakraoui y déclare « ne plus savoir quoi faire » et être « recherché de partout ». Il ajoute que « s’ils s’éternisent, ils risquent de terminer à côté de lui dans une cellule », sans doute une référence à son complice des attentats de Paris Salah Abdeslam, interpellé le 18 mars.
Il n’est pas exclu qu’Ibrahim El Bakraoui ait fait aussi référence à Mohamed Bakkali, interpellé le 26 novembre près de Verviers, dans le cadre de l’enquête belge sur les attentats de Paris. Les policiers ont en effet retrouvé dans le « testament » une mention de son nom, indiquait une source policière jeudi matin. La trace de Bakkali, 28 ans, avait été trouvée à Auvelais et à Schaerbeek, deux endroits où ont séjourné les terroristes de Paris. C’est chez Bakkali aussi qu’avait été saisie, en décembre, une vidéo d’une dizaine d’heures montant les allers et venues d’un haut responsable du Centre de recherche nucléaire de Mol. Selon le quotidien La Dernière Heure, ce sont les frères El Bakraoui qui auraient récupéré la vidéo devant le domicile du directeur.
Le frère cadet d’Ibrahim, Khalid El Bakraoui, qui a déclenché sa ceinture explosive à la station de métro Maelbeek, était, lui, soupçonné d’avoir loué deux appartements utilisés par les commandos du 13 novembre. L’un d’eux, à Forest, a servi de planque à Salah Abdeslam, jusqu’à l’opération de police du 15 mars, à laquelle il avait échappé in extremis en s’enfuyant par les toits.
Najim Laachraoui, l’artificier kamikaze
Des Bruxellois s’arrêtent pour photographier les messages de soutien aux victimes qui recouvrent les murs dans le quartier de la Bourse, devenu un lieu de recueillement. | VIRGINIE NGUYEN HOANG / HANS LUCAS POUR LE MONDE
L’identification du deuxième kamikaze de l’aéroport de Zaventem, Najim Laachraoui, 24 ans, a pris plus de temps, en raison de la technique utilisée par les policiers : la comparaison de son empreinte génétique. Ce personnage-clé de l’enquête sur les attentats de Paris est soupçonné d’être l’artificier des kamikazes du 13 novembre en France. Il avait fait des études d’électromécanique à Schaerbeek et s’est formé à l’usage des explosifs en Syrie, où il a séjourné en 2013.
Son ADN a été retrouvé sur des morceaux de ceintures explosives devant le Stade de France et au Bataclan. Son empreinte génétique a par ailleurs été mise en évidence dans un appartement de Schaerbeek, où a été découvert du matériel destiné à la préparation d’explosifs. Il est également suspecté d’avoir coordonné à distance les attentats de Paris, depuis Bruxelles, par téléphone.
Najim Laachraoui est sans conteste celui qui inquiétait le plus les services de police. Si les développements de l’enquête confirment son rôle d’artificier en chef des attentats ayant frappé les deux capitales ces derniers mois, sa disparition pourrait coïncider avec la fin des projets de cette cellule terroriste.
Lors de la perquisition de mardi 22 dans l’appartement de Schaerbeek, où avaient transité les trois kamikazes, les policiers ont découvert 15 kilogrammes d’explosifs de type TATP, 150 litres d’acétone, 30 litres d’eau oxygénée, des détonateurs et une valise remplie de clous et de vis. L’abandon de ce matériel, ainsi que le message désespéré d’Ibrahim El Bakraoui, pourrait laisser entrevoir la fin des opérations martyres.
La cellule des attentats de Paris et Bruxelles est-elle morte ? Constituée par des copains de quartiers, à Molenbeek, à Schaerbeek et en Syrie, il y a plus d’un an, autour d’Abdelhamid Abaaoud, elle a été découverte par les Belges à l’occasion d’un spectaculaire coup de filet à Verviers, le 15 janvier 2015. Quelques jours plus tard, un plan d’attaque contre un aéroport, similaire à celle de mardi, avait été découvert dans un appartement d’Athènes où avait transité Abdelhamid Abaaoud, l’organisateur présumé des attentats de Paris.
Après son démantèlement, en janvier 2015, la cellule de Verviers – dont le parquet a demandé, lundi 21 mars, le renvoi devant le tribunal de seize de ses membres – s’est reconstituée pour commettre les attentats les plus meurtriers jamais perpétrés en France, puis en Belgique. L’identification des trois kamikazes de Bruxelles semble indiquer que la plupart de ses membres actifs sont aujourd’hui morts ou incarcérés.
Deux suspects toujours recherchés
Fouille à l'entrée de la station de métro De Brouckère, à Bruxelles, mercredi 23 mars. | VIRGINIE NGUYEN HOANG / HANS LUCAS POUR LE MONDE
La menace n’est pas pour autant complètement éteinte. Deux autres suspects des attentats de Bruxelles, dont l’identité était inconnue jeudi matin, sont toujours activement recherchés. Le premier accompagnait les deux kamikazes à l’aéroport. Le chauffeur de taxi, qui a emmené le trio à Zaventem, a indiqué aux policiers qu’il exprimait à haute voix sa haine des Américains durant le voyage, alors que ses deux compagnons se taisaient.
Une photo, diffusée par la police belge, montre l’homme caché sous un chapeau et derrière d’épaisses lunettes, poussant un chariot à bagages sur lequel on aperçoit un sac. Ce sac, qui contenait davantage d’explosifs que les deux autres, a éclaté en raison de l’instabilité des produits qu’il contenait. Il a pu être totalement neutralisé par les démineurs. L’opération n’a pas fait de blessés, mais ce sac visait peut-être à provoquer un autre carnage lors de l’arrivée des services de secours, après les deux premières déflagrations.
Un second suspect est également recherché depuis mercredi. Il a été filmé, portant lui aussi un gros bagage, par les caméras de vidéosurveillance du métro bruxellois, en compagnie de Khalid El Bakraoui, peu avant que ce dernier ne se fasse exploser dans la station Maelbeek, causant la mort de vingt personnes. Outre ces deux nouveaux suspects, un personnage central de la cellule, Mohamed Abrini, demeure à ce jour introuvable. Ce Belge de 31 ans avait accompagné les dix terroristes à Paris. Il avait été filmé à Ressons, dans l’Oise, la veille des attentats du 13 novembre, avant de disparaître.
A ces trois hommes en cavale s’ajoute un nombre indéterminé de terroristes attendant dans des cellules dormantes. Quelques jours avant de trouver la mort dans un assaut mené par le RAID contre l’appartement où il avait trouvé refuge à Saint-Denis, Abdelhamid Abaaoud avait confié à sa cousine que « quatre-vingt-dix » terroristes étaient entrés en Europe à l’automne 2015, profitant du flux de migrants venus de Syrie.
Quatorze personnes ont été mises en examen en France et en Belgique depuis le début de l’enquête sur les attentats de Paris. Deux faux migrants, fortement suspectés d’être en relation avec eux, ont été interpellés en Autriche, en décembre. Un complice de Salah Abdeslam est détenu en Turquie. Et douze kamikazes ont à ce jour trouvé la mort à Paris et à Bruxelles. Soit une trentaine de personnes.