Al-Qaida : le pari syrien du chef de l’organisation djihadiste
Al-Qaida : le pari syrien du chef de l’organisation djihadiste
Par Madjid Zerrouky
Le chef d’Al-Qaida, l’Egyptien Aymenn Al-Zawahiri, a consacré son dernier message à la situation en Syrie, où son organisation se pose en concurrence de l’Etat islamique.
Aymenn Al-Zawahiri, le chef du réseau Al-Qaida. L'image provient d'une vidéo diffusée en février 2012 par As-Sahab, le "média" d'Al-Qaida. | - / AFP
Al-Qaida est en Syrie et a la ferme intention d’y rester. Alors qu’une coalition armée menée par le Front Al-Nosra, la franchise syrienne du réseau djihadiste, est à nouveau à l’offensive dans la région d’Alep, Aymenn Al-Zawahiri, le chef du réseau Al-Qaida, a pris la parole ce week-end dans un message audio diffusé sur les réseaux sociaux. Une intervention consacrée exclusivement à la Syrie et dans laquelle il réaffirme les liens entre Al-Qaida et Al-Nosra pour se positionner en rassembleur.
Le chef égyptien d’Al-Qaida parie plus que jamais sur ce pays : « Le Levant est aujourd’hui l’espoir de la communauté des croyants, car c’est l’unique révolution populaire des printemps arabes. C’est celle qui a suivi le bon chemin, celui de la prédication et du djihad pour l’établissement de la charia », déclare-t-il en préambule de son discours.
Efficacité sur le terrain
Pour les djihadistes du Front Al-Nosra, les vents sont de nouveau porteurs, tandis que l’organisation Etat islamique semble par ailleurs avoir perdu de sa superbe : en réponse à la trêve relative des combats entre le régime syrien et les forces rebelles, négociée par Moscou et Washington, le groupe, allié aux salafistes d’Ahrar Al-Cham et à une myriade de petits mouvements djihadistes et islamistes, a repris l’offensive et inflige de lourdes pertes aux forces iraniennes engagées aux côtés du régime Assad, au sud de la ville d’Alep. Des combats et une efficacité sur le terrain qui leur vaut en Syrie des marques de sympathie venues bien au-delà de leurs cercles habituels de sympathisants.
Au mois d’avril déjà, le Front Al-Nosra avait été à l’initiative d’une reprise à grande échelle des combats. Cette initiative avait permis à l’organisation de s’extraire d’une mauvaise passe alors que la reprise des manifestations et le regain de mobilisation populaire, rendus possibles par la petite accalmie qui a suivi le cessez-le-feu, fin février, contrariaient les plans du groupe. Certains de ses représentants avaient alors été expulsés de rassemblements prorévolution qu’ils tentaient de briser.
L’intervention d’Al-Zawahiri est brève, dix minutes, et si le propos se veut plutôt « nuancé » sur la forme, il balaie toutes les rumeurs de désaccords entre la maison mère du réseau djihadiste et sa franchise syrienne. Il réaffirme sa stratégie d’une édification « pas à pas » d’un émirat islamique en Syrie. Lors d’une rencontre avec des journalistes organisée dans la région d’Idlib, en décembre 2015, l’émir d’Al-Nosra, Abou Mohamed Al-Jolani, avait de toute façon réaffirmé son allégeance à Al-Zawahiri alors que des personnalités et cheikhs salafistes, sous l’impulsion de pays du Golfe, enjoignaient le groupe à couper ses liens avec Al-Qaida en lui promettant finances et armes en contrepartie. « Une tentative de détourner les moudjahidin du Levant de leurs véritables adversaires », estime le chef d’Al-Qaida, qui se « dit fier de ses liens avec Al-Nosra », des liens « appelés à se renforcer ».
S’attaquant violemment au groupe Etat islamique, le chef d’Al-Qaida épouse et appuie d’ailleurs toutes les thèses de la direction de sa franchise syrienne, exposées à plusieurs reprises par Abou Mohamed Al-Jolani. Et ce alors que l’organisation était tiraillée ces dernières semaines entre les tenants de l’établissement rapide d’un émirat dans ses bastions du centre et nord-ouest du pays – représentés par des membres de la vielle garde d’Al-Qaida qui se sont infiltrés dans le pays – et les « pragmatiques », qui considèrent que la chute du régime de Bachar Al-Assad est la condition préalable pour y parvenir et qui prônent une alliance avec les autres groupes djihadistes et salafistes. Cette mouvance semble soutenue par Al-Zawahiri.
En décembre, Al-Jolani assurait que la raison d’être d’Al-Qaida en Syrie était d’abattre le régime d’Al-Assad en vue de l’établissement d’un Etat islamique « sincère ». « Même le Dr Aymenn [al Zawahiri] se mettra sous le commandement d’un Etat qui appliquera toutes les recommandations de l’Islam », annonçait-il. Une posture réaffirmée ce week-end par l’Egyptien : « Si les musulmans du Levant et leur cœur, les djihadistes, établissent leur gouvernement islamique et se choisissent un émir ; leur choix sera le nôtre. Nous n’aspirons pas à gouverner les autres […]. Nous aspirons à être gouvernés par des musulmans sous les lois de l’islam. » Aymenn Al-Zawahiri affirme donc qu’Al-Qaida serait prête à se fondre dans un émirat établi avec d’autres. Mais le Front Al-Nosra étant la force motrice (hors EI) du courant djihadiste en Syrie, le chef d’Al-Qaida ne prend pas beaucoup de risques avec une telle déclaration d’intention. Sur le terrain, le Front Al-Nosra pose d’ailleurs déjà, dans les faits, les jalons de son émirat, avec sa police, ses cours de justice, ses services publics. Il a dernièrement décidé d’imposer des taxes aux agriculteurs utilisant les eaux du barrage d’Al-Douwissat, dans la région Idlib.
Désaccord stratégique avec l’EI
Le propos se veut surtout une réponse à l’hégémonisme de l’Etat islamique, qui élimine toutes les autres forces sur les territoires où il est en position de force. Al-Zawahiri oppose ainsi tout au long de son discours le projet du Front Al-Nosra en Syrie à celui du « califat d’Ibrahim Al- Badri » – Abou Bakr Al-Bagdadi, le chef de l’organisation Etat islamique étant désigné par son état civil pour le délégitimer. Les membres de l’EI sont ainsi qualifiés à plusieurs reprises de « kharidjites », en référence à une dissidence des premiers temps de l’islam considérée comme déviante et extrémiste.
« Nous n’avons obligé quiconque à nous prêter allégeance, si ce n’est par consentement. Nous ne menaçons pas de couper les têtes ni d’excommunier ceux qui nous combattent, comme le font ces nouveaux kharidjites ». Une nouvelle attaque contre l’EI, qui réfute tout consentement et ne laisse guère de choix aux populations et aux autres groupes si ce n’est l’allégeance ou la mort. Al-Zawahiri reprend là une ligne de conduite définie en 2004-2005, en réaction à la systématisation par Abou Moussab Al-Zarkaoui, le chef d’Al-Qaida en Mésopotamie (aujourd’hui vénéré par l’EI), d’attaques contre les lieux publics et de massacres de civils.
Ce désaccord stratégique avait alors constitué une première ligne de fracture entre ce qui deviendra l’Etat islamique et Al-Qaida « central ». Al-Zawahiri considérait à l’époque que les campagnes de terreur impulsées par Al-Zarkaoui lors de cette première guerre civile irakienne ne pouvaient qu’isoler les djihadistes de la population sunnite irakienne, révulsée par l’ultraviolence du groupe armé, et les conduire à la défaite.
Mais si le chef djihadiste se fait le chantre de l’union des combattants sur le terrain – « C’est une question de vie ou de mort. Soit vous vous unissez en tant que musulmans […] soit vous vous divisez et vous serez dévorés les uns après les autres » – il n’oublie pas d’appeler à s’opposer aux complots ourdis par « l’Amérique, la Grande Bretagne et l’Arabie saoudite » et ceux qui disent vouloir établir « un régime basé sur l’islam, mais qui n’est en fait qu’une contrefaçon de l’islam », ouverte « au sécularisme et au nationalisme ».
Cette menace à peine voilée s’adresse aux rebelles modérés qui participent aux négociations avec le régime ou qui sont soutenus par les pays du Golfe et par les Occidentaux, dont la principale crainte serait « la présence aujourd’hui des moudjahidin aux frontières de la Palestine, ce qu’ils appellent Israël, le 51e Etat américain ». Principales visées, les brigades modérées de l’Armée syrienne libre (ASL), que le Front Al-Nosra n’a cessé de combattre depuis cinq ans.
Syrie : la violence des combats filmés par un drone
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